Après avoir été relégué au dernier plan des préoccupations de la classe politique et de la communauté nationale, le problème de l'identité nationale et de la personnalité tunisienne, affleure petit à petit à la surface de l'actualité et se pose même avec insistance. Il s'agissait, alors, de parer à des problèmes autrement plus urgents, comme ceux de la sécurité, de l'emploi, de la lutte contre la criminalité dans tous ses registres. Ces problèmes s'atténuant, il devenait impérieux que la question de l'identité nationale soit mise sur le tapis. D'autant que l'on se rapproche à grand pas de l'échéance de l'élection d'une assemblée constituante, laquelle est appelée à élaborer une nouvelle constitution qui définirait le profil politique à venir de la Tunisie. Un profil où il sera question de religion, de langue et de patrimoine historique. Voilà donc aujourd'hui évoquée cette épineuse question dans les débats et les polémiques. Les musées traversent, en effet, une crise de fréquentation. Ils sont l'objet de pillage (on en a vu les traces dans le mirifique palais d'un gendre du président déchu). Des pièces d'une grande importance préhistorique et historique s'en sont allées enrichir les poches de trafiquants d'objets d'art. Problème, faut-il le souligner, que le nouveau ministre de la Culture semble avoir saisi à bras-le-corps, s'y investissant pleinement.
Dans cette perspective, c'est la laïcité qui forme un des plats de résistance des conversations au niveau des intellectuels comme chez le simple citoyen. Elle provoque moult réactions et de contre-réactions, le tout alimenté par des heurts intermittents entre les partisans de l'un et de l'autre camp, notamment sur les parvis des mosquées et dans les salles de prière. Mais là, n'est pas le but de ce billet. Nous nous proposons aujourd'hui d'évoquer un autre vecteur de l'identité nationale et qui figure en bonne place dans le texte de la constitution comme une composante majeure de notre personnalité: la langue. Et là je ne peux m'empêcher de citer une réponse de Camus à un journaliste qui lui posait une question relative à sa vraie patrie, à savoir l'Algérie ou la France. «Ma véritable patrie est ma langue» a répondu l'illustre Prix Nobel de littérature.
C'est à la lumière de cette appartenance linguistique que je me pose la question suivante. Quelle langue utilisons-nous en Tunisie (cette question vaut d'ailleurs pour l'Algérie et le Maroc? Car nous utilisons une pluralité de langues: Il y a d'abord la langue du Coran qui accompagne nos devons religieux et l'écrire littéraire. Puis il y a la langue arabe simplifiée pratiquée dans les médias. A côté, nous trouvons l'arabe dialectal, le français et, enfin, une sorte de charabia infect et indigeste que l'on appelle franco-arabe. Infect et indigeste par ce qu'il superpose dans le champ linguiste deux structures de pensée très différentes.
Et le phénomène est d'autant plus désarçonnant que chacun de ces parlers est l'apanage d'une tranche de la population: à titre d'exemple le franco-arabe est pratiqué par la composante instruite de la gent féminine et aussi par les sportifs alors que les couches populaires usent, dans leur globalité, de l'arabe dialectal.
Quel parler devrait donc être inscrit dans le texte de la Constitution. A noter que la langue amazighe est encore vivante dans les foyers berbères. D'ici qu'il leur vienne à l'idée de lui donner droit de cité sur les tablettes de la Constitution!