Chokri, je ne peux te dire adieu Le mot se refuse et s'insurge en moi Tu es plus grand que toutes les oraisons funèbres Je ne me résous pas à faire ton deuil Tu es plus que jamais présent La main lâche qui t'a criblé de balles ne peut te tuer On ne tue pas les monuments Qui peut tuer le symbole ? Qui peut tuer l'homme libre, le penseur atypique ? Qui peut tuer ta pensée et ton exemple ? La mort craint parfois ses victimes La mort est une autre vie pour les grands hommes En les prenant, elle les perpétue La mort ne tue que les insignifiants Chokri, j'entends ta voix dans les sanglots de ceux qui te pleurent Je vois ton regard dans tous les yeux aujourd'hui en larmes Je te surprends nous consoler de ton départ Nous parler de la force de poursuivre Et de l'orgueil de rebondir La voix toujours haut et forte Le verbe toujours rebelle et impertinent Le front toujours révolté frôlant le ciel Les pleurs aujourd'hui t'élèvent jusqu'au firmament Je te vois encore rompre le pain Entre les pauvres et les exclus Je te vois encore mener les batailles Avec pour seul arme, ton amour du peuple Les bras suintent toujours les fragrances de notre terre Chokri, je te vois encore dans les steppes de Kasserine Dans le blé de Béja Dans les oliviers de Sfax Dans les agrumes du Cap Bon Dans les palmiers de Jerid Dans les fleurs de Tunis Je te vois encore dans le cartable des écoliers Dans le chapelet des vieux Dans les you you des femmes Sous les ongles de nos mères Dans le bleu de chauffe il y a tes effluves Dans la sueur des ouvriers il y a ta larme Dans le labeur des paysans il y a ta charrue Les enceintes sont orphelines ? Non, elles bruissent encore de tes pas, de ton souffle Ta voix, digne et fière, en imprègnent tout l'espace Chokri, Toute la Tunisie s'élève aujourd'hui Un seul mot, un seul sentiment, une seule voix Dans un instant de douleur, tu as uni tous les tunisiens Tu en es certainement fier Non, pas de condoléances Pas de gerbes de fleurs à tes pieds Pas de dernières onctions Les rivières de larmes suffisent Le deuil ne sera fait que le jour où ton rêve sera réalisé Ce jour-là, tu seras parmi nous Tu auras contribué ici ou ailleurs Tu n'auras jamais rechigné à paver le chemin A offrir ta pierre, ta foi et ton bras Comme toujours Ce jour-là, La Tunisie arrivera à bon port Ce n'est que ce jour-là que tu reposeras en paix En militant irréductible et en martyr. Chokri, tu n'as quitté que ceux qui t'ont lâchement assassiné Ceux qui ont cru t'atteindre ont raté la cible Se trompant d'homme, d'adversaire et de combat Leurs balles ne sont que d'insignes médailles Les lâches ne se nourrissent que de leur veulerie Ils immortalisent là où ils croient effacer Ils perdent là où ils croient gagner Il n'y a que les charognards qui vivent de lâcheté Non, jamais tu nous quittes Ce n'est ni dans ton caractère ni dans ta culture Demain sera un autre jour Tu l'as toujours voulu La Tunisie reprendra ton dernier souffle pour forcer le destin Elle s'épanchera de ton sang pour vaincre Chokri, vieux guerrier, je sais que tu continue le combat là où tu es Ne t'inquiète pas, nous vaincrons ! Ont-ils vraiment tué Hached ? Il en sera de même pour toi, notre deuxième Hached. Dans le temple populaire, au panthéon de la mémoire, Dans le souvenir individuel ou collectif Il n'y a que des hommes ayant marqué l'histoire Le drapeau national est fait de leur sang.