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Tunisie , Chronique : Le mot pour le dire : Divina commedia
Publié dans Tunivisions le 04 - 01 - 2013


EPISODE QUATRIEME : LA CONVERSION

« Un homme d'Etat ne saurait, afin de pouvoir agir en pleine absence de scrupules, mieux faire que d'accomplir son œuvre non pour lui, mais pour un prince. L'éclat de ce désintéressement complet aveugle l'œil du spectateur, en sorte qu'il ne voit pas les perfidies et les cruautés que comporte l'œuvre de tout homme d'Etat ».
Nietzsche, Humain, trop humain


Il est malaisé de rappeler au Tout-pieux qu'il n'est point à l'abri des intempéries. Lui, qui croit tout gouverner, découvrirait alors, non sans effroi, qu'il n'a pas le caprice aussi souverain et le désir aussi haut. La vieille chiffe hésite, dans l'espoir que la providence viendrait au secours de son éloquence, mais l'Indomptable, plus terrible que toutes les furies, se remet à secouer ses vieux os.
– Que prétend-elle, cette ingrate ? Mais parle donc imbécile !
Le clown pleurniche en s'abandonnant à la poigne de fer :
– Que vous êtes Hitler, et la cause de nos malheurs à tous.
Le Terrible faillit s'étaler de tout son long au milieu de sa scène :
– Moi, l'auteur de son bien-être, je serais Hajjaj…?
– Hilter, majesté, l'interrompit l'insolent prosterné à ses pieds.
– Et pourquoi pas Mussolini aussi ? hurle l'Illuminé, hors de lui.


Le visage du pitre s'illumina d'un sourire radieux et il s'écria en claquant des mains :
– Il a été question de lui aussi !
Le bras vigoureux du Sublime fourrage la chair flétrie de la loque et sa voix fielleuse la pénètre jusqu'à la moelle :
– Ordure, traître, je te boufferais le foie et la rate. Accouche crapule ! Qu'est-ce qu'elle a dit l'impertinente ?
La vieille chiffe hoquète en grimaçant, de mille façons, sa douleur :
– La Tunisie serait heureuse de vous voir partir le plus tôt possible. Rentrez chez vous à Londres ou à Qatraël.
Dieu du ciel ! Comment se peut-il que les fruits de nos entrailles soient si durs avec nous, l'auteur de leurs jours ! Si ingrats ! Si mauvais ! Si pourris ! Comment se peut-il ? Et cette repoussante ruine, qui se dit pourtant être sa vue et son ouïe, pourquoi a-t-elle attendu, pour vider son sac, qu'il découvre lui-même le pot aux roses ?
– Pourquoi salaud ne m'as-tu pas prévenu à temps ? Vous attendez peut-être que les conspirateurs me mettent à mort ?!
– Sire, vous êtes si fort, marmotte le pitre. Ce serait vous offenser, Majesté, que de vous rapporter ce que vous savez déjà.
S'il s'était agi d'autre chose que de cette terrible défaillance, l'argument aurait porté loin et haut, et le Maître en chef se serait contenté d'un soufflet et de quelques claques avant d'absoudre le misérable. Mais là… là…, avec ce complot qui aurait pu lui coûter la vie, rien, en dehors de la mort, ne pourrait entamer la féroce rancune du Sublime. Faillir à son devoir est un crime odieux, qu'il ait été perpétré par félonie ou par sottise.
– Hors de ma vue, judas !
La vieille chiffe, recroquevillée au milieu des ombres de la scène, pleure toutes les larmes de son corps endolori.
– Votre clémence Excellence, gémit-il, les yeux révulsés de terreur.
– Estime-toi heureux que je ne t'aie pas encore écrasé comme une puce, siffle le Redoutable.
– Sire, pitié pour votre indigne serviteur.
Alors, son Eminence, hors de lui, hurle, haineux et sauvage :
– Un mot de plus et je t'assomme ordure !
Le vieux clown réalise alors que sa cause est irrémédiablement perdue. Il ne serait pas sage de s'en tenir à cette stratégie stérile. Ni ses plaintes, ni ses larmes ne sauraient l'arracher aux griffes du Justicier. S'il réussissait à détourner, de sa personne, l'attention du Capitaine en chef, il pourrait espérer se tirer sans grand dommage de ce mauvais pas. Pour cela, il faudrait qu'il s'éclipse au profit de la dulcinée de sa seigneurie, cet empire dont il raffole et qui lui semble, à lui le minable, si petit et si étriqué ! Mais ça, il ne le dirait jamais au Roisident.
A sa favorite, le Saint en chef pardonnera tout, même de l'avoir trahi.
– Sire, je me fondrais de moi-même dans cette nuit opaque, déclame-t-il de sa voix éraillée de courtisan, si j'entendais gémir encore votre scène ! De grâce, épargnez mon vieux cœur sensible et mes yeux ternis par l'adversité.
Le visage fermé de l'Impassible attise l'angoisse du vieux clown. L'horreur faillit lui couper le souffle. Il servirait mal sa cause en faiblissant. Un sourire maladroit éclot sur ses lèvres nerveuses et, en même temps, une sorte d'illumination lui éclaire la voie du salut : se faire la voix de la favorite. Le Maître finirait bien par comprendre qu'il est, de tous ses esclaves, le seul qui œuvre pour sa gloire :
– Sauvez le monde, se lance-t-il, ou permettez qu'à vos pieds je m'immole. Je me meurs, votre Sainteté, dans ce triste paysage, au milieu du silence. Sire, de grâce, redonnez-moi la vie en embrasant notre scène, ou que votre bras magnanime m'administrent le coup de grâce. Que vous me fassiez portier, geôlier, mignon ou travesti, monarque ou courtisan, traître ou savant, larbin ou grand héros, cabotin ou génie de votre rang ; cela m'importe peu pourvu que je demeure sur scène, jeune et vigoureux, et reçoive mes gages.
S'étant tue enfin, la vieille chiffe, émerveillée par son éloquence et sa témérité, applaudit elle-même son exploit. Et d'ajouter, en se retirant, l'œil alerte :
– Soyez béni majesté pour avoir prolongé au-delà du possible la pauvre vie de votre très humble serviteur.
Et il se dit, en poussant un profond soupir de soulagement, qu'il l'a échappé belle. Ouf, qu'il est dur de traiter avec le Ciel ! Dans son costume de pitre et son allure de gueux, il se tient sur la scène, rigide comme la loi, et croasse sa piteuse réplique, le regard sur la face béate de l'Idole :
– Ah, quel bonheur sire de vivre tant de vies dans la même peau ! enchaîne-t-il. Quel miracle est donc cette scène dont nous a gratifiés votre bras !
Où veut-elle en venir, cette ignoble créature ? se demande le Sublime en réprimant un frisson de répulsion. Il ferait mieux d'éradiquer cette maudite engeance. Et le plus tôt serait le mieux. S'enquiquiner avec une si laide fripouille n'arrange nullement ses affaires. Il trouverait bien de meilleures mains pour applaudir son génie. Des mains vierges qui n'ont pas servi son maudit prédécesseur de ripou.
– Je suis là, et là encore, dans le bouge grouillant de vermine et devant l'autel, poursuit le sénile, dans le temple où Dieu me tend la main. Je suis là, affalé sur le bar, la coupe à la main, mon regard brumeux dans le corsage de la femelle…
Un grognement du Capitaine rappelle l'insolent à l'ordre :
– De la serveuse sire. Là je suis à cultiver dans l'instant ses relents d'éternité.
Le Magnifique, qui a horreur des serpillières, ignore l'ardeur du vieux clown. « On dirait que je n'existe plus », s'alarme la vieille chiffe, s'enferrant dans son délire. « Si j'étais poète, je composerais mille et un vers et un millier encore afin que mon seigneur et maître m'accorde son absolution ».
– Sire, regardez-moi une fois, une seule Sire, et écrasez-moi tout de suite après, ajoute le courtisan, triste et défait.
Souriant, les joues roses, le regard luisant, la vieille chiffe cligne de l'œil et minaude de sa voix de mignon :
– N'oubliez pas, Sire, que nous sommes toujours très jeunes. Nous avons encore toute la vie devant nous.
Et, joignant l'utile à l'agréable, courbe souplement l'échine et s'écrase le nez dans la poussière. Le Capitaine en chef braque alors son bras auguste et, d'un coup de griffe, saigne le bavard et s'écrie, enfin soulagé :
– Voilà pour vos gages ordure !
Et de sonner aussitôt qu'on vienne débarrasser le plateau.
Mais voilà que sa Scène se met à sentir le fantôme. Le Magnifique, lové dans son trône, inspecte son œuvre organe à organe, hume à pleines narines ses émanations familières, odeurs de femme épanouie mêlées aux douces exhalaisons des encens et de bien d'autres essences, synthèse de toute la flore des tropiques et des steppes. Au terme de sa ronde, le Sceptique, alarmé par tant d'anomalies, fronce les sourcils, hoche sa tête meurtrie par l'effort, et murmure dans un soupir :
– Non, ce n'est pas possible !
Depuis quand vivants et morts se permettent-ils d'enfreindre sa loi ? La règle veut que meure sans appel, de gré ou de force, celui à qui il intime l'ordre de s'éteindre, et ne ressuscite que celui dont l'âme viendrait égayer ses rêves par ces chants, si doux et si agréables, de l'autre rive ! Comment se fait-il alors que l'ordure, cette vieille peau, cette répugnante loque soit toujours là ?
– Comment est-ce possible ? répète-t-il à l'intention de sa scène qui sent si fort le fantôme.
La face chafouine de l'ignoble, et son haleine fétide qu'il perçoit partout, massives tantôt et tantôt pernicieuses, ne sont-elles pas les détestables attributs de cette canaille qu'il a saignée lui-même, son satané prédécesseur, ce ripou immonde, si loin dans son exil. Comment se fait-il que cette crapule soit revenue d'Arabie ? Le Parfait ne saurait tolérer, dans son chef-d'œuvre, un laxisme pareil ! Si tout le monde, à son insu, se mettait à passer d'une rive à l'autre, il se peut qu'un jour, l'horrible mort de Monastir, ce satané Bourguiba, ce monstre laïc, vienne le relancer, dans son repaire, pour lui rappeler qu'il l'avait condamné à mort et que sa place était dans une tombe et non dans son fief à lui !
– Qui ose ainsi se soustraire à ma loi ? fulmine-t-il, les yeux irradiés d'éclairs et d'éclats.
Et d'ajouter en s'enfonçant dans ses coussins, les paupières de plomb :
– A quoi sert donc ce bras invincible ? A quoi sert donc ce ciel à portée de ma main ?
Ah, le perfide se serait-il donc plu, pour venger la juste mort que sa rigueur lui a infligée, d'empoisonner les mets que des mains, aussi habiles que loyales, proposent à son plaisir ? Les insurgés de Siliana et de Sidi Bouzid, qui ne sec sont pas privés du plaisir d'offenser ses vassaux, n'auraient donc pas tous déposé les armes, et l'infâme, cette maudite vieille chiffe, aurait pris la tête de la horde, morts et vivants réunis, pour ruiner le fruit de sa sagacité : sa Scène, sa Cité policée, correcte et sage !
– Où te caches-tu ignoble lâche ? rugit-il d'une voix pâteuse.
Alarmée par les foudres et le tonnerre, la Belle, paressant encore dans ses draps, jaillit de ses rêves et se précipite hors de l'alcôve, son visage à moitié caché. Depuis quelque temps, sa dulcinée, cédant à son naturel espiègle, ne se livre à ses yeux d'amoureux que voilée !
– Qu'y a-t-il Sire ? demande-t-elle en se jetant aux pieds de l'autel.
– Douce mie, gronde la voix du Maître en chef, ne sentez-vous rien de mauvais, de si mauvais ? On dirait que ma scène empeste le fantôme ! Ces maudits Bourguiba et Ben Ali seraient-il donc de retour ?
La femelle lève vers lui ses beaux yeux de biche effarouchée et déclame, toute sa fougue déchaînée, de sa voix de vestale :
– Il n'y a pas, dans ce vaste monde que vous gouvernez si bien, de fou ou de sensé qui ne tremble devant vous Sire. Vous…
– La vieille chiffe est toujours là, l'interrompt-il brutalement. Je la sens partout.
– La voyez-vous Sire ?
– Douce mie, comment osez-vous ? s'indigne son Opulence.
– Je veux dire Sire que…
– Ne dites rien Madame, l'arrête-t-il d'un geste, vous aggravez votre cas ! La vieille chiffe est là, il n'y a plus rien à dire.
La femelle capitule, les yeux pleins de larmes. Etre brimée de la sorte, en présence du parterre, la dépite au plus haut point. Serait-elle en train de perdre son empire, s'alarme-t-elle. Jamais le Maître ne s'est montré si dur avec elle ! Le grand madré, le second du maudit défunt, toujours perdu dans les mailles de son turban de vizir, rampe vers le trône, son regard de reptile en vadrouille et, se dressant sur ses genoux cagneux, gémit de sa voix frêle d'eunuque :
– Grand Maître, je vous salue tout bas et ose, en votre présence, me tenir à terre pour vous féliciter. Car vous êtes désormais, je suis heureux d'être le premier à vous l'annoncer, un prophète accompli. Les signes sont explicites. Il est écrit dans les registres antiques que, quiconque parmi les mortels perce de son regard les portiques du surnaturel, n'est plus qu'un simple mortel. Vous venez de parler des déchus, le premier et le second : ce sont là des signes probants. Croyez ma vieille expérience Majesté, si les voies de l'au-delà se sont offertes à vos pas, c'est que la providence vous a élu pour porter la couronne et répandre ses lumières parmi les vivants. Maître, ne vous fiez pas, je vous prie, à la verve de l'âme hypocrite qui jurerait tout son panthéon afin de vous frustrer de cette chance insigne dont vous comble le ciel. Il est dit dans les écrits antiques que se méfier de la femelle est, de la sagesse, son joyau le plus pur ! J'ose vous prier sire de ne plus prêter votre auguste ouïe à celle qui, pour vous égarer, s'obstine à nier le miracle. Son intention est de vous égarer. Méfiez-vous de cette Tunisie qui ne veut pas votre bien. Votre cœur magnanime, que la misère du mortel fait vibrer et que la perfide croit – ô quelle fatuité ! – gouverner à son aise, est cause que son audace tente aujourd'hui l'impossible : contrecarrer le cours de la providence et vous ravir le fruit de votre génie pour en gratifier d'autres.
La femelle, le corps tout tremblant d'indignation et de colère, s'écrie :
– Sire, ce pauvre fou délire…
Le Maître porte son regard sublime sur l'halluciné à ses pieds et demande, dubitatif :
– Mais alors, ces visions qui m'assaillent, et ces cauchemars qui m'obsèdent, et ces satanés Bourguiba et Ben Ali qui n'arrêtent pas de frapper à ma porte ?
– C'est là Sire le privilège du diable et du messie, ronronne le vieux vizir.
– Taisez-vous dément, s'emporte la femelle horrifiée. Sire, c'est créateur que vous êtes, et créateur vous demeurez. Contentez-vous de votre rôle de Roisident.
L'Auguste la renvoie d'un geste de sa droite qu'il tend aussitôt au vieux rossignol par terre pour sceller l'heureuse alliance. Un second geste vide la scène de son peuple. Resté seul, dans la pénombre réconfortante du crépuscule, le Magnifique se dit, en soupirant, qu'il ferait mieux de se décider avant que la sédition ne corrompe tout son parterre. Du créateur et du prophète, il pencherait volontiers pour le premier s'il n'y avait pas ces satanés signes qui troublent depuis quelque temps son sommeil. C'est vrai, la mauviette, qui continue de jouer au vizir depuis que, par pitié, il l'a installée, l'espace d'une représentation, dans ce rôle, divague à coup sûr, mais qui pourrait l'assurer que sa femelle ne déraisonne pas, elle aussi ?
Un bruit discret interrompt la réflexion du Superbe. Quelque chose comme un soupir, ou un pleur étouffé, ou encore l'écho d'un pas feutré, suivi d'un craquement à peine audible et, l'instant d'après le poids d'une main qui pèse sur son épaule. Au prix d'un effort surhumain, il réussit de ne pas céder à la panique et, fidèle aux règles de l'étiquette, tourne lentement la tête. Derrière lui, il n'y a comme devant, que le vide. Un sourire de triomphe étire ses lèvres lippues et se serait mu en rire incoercible si la liesse du seul Maître en chef n'avait pas été interrompue par un autre bruit. Pris au dépourvu, le Souverain s'ébroue de tout son corps dans un geste si brusque qu'il manque se précipiter hors de son trône dans la poussière des tréteaux.
– Qui marche là ? s'écrie-t-il d'une voix altérée.
La vieille chiffe, drapée dans sa tunique de spectre, d'où seule émerge sa face figée dans un rictus amère, pointe son bras vers lui. Oui, il s'agit bien de cet horrible clown. Le Maître hésite un instant. Quand il se décide enfin à clamer sa mise en demeure au rebelle, le spectre se dissipe et, comme par enchantement, le vieux vizir jaillit du néant et, en un bond, se jette à ses pieds.
– Me croyez-vous maintenant Sire ?
Le Grand, se dominant avec peine, grommelle quelques mots auxquels l'ignoble mauviette répond par des youyous et des hourras.
– Ce sceptre dans votre main, Sire, vous n'en avez plus besoin, décrète le croulant, ses yeux globuleux luisant d'enthousiasme.
– C'est quoi cette salade ? hurle l'Eminence en se frottant les mains.
– Le bâton est pour le prophète ce que le sceptre est pour le monarque, explique le vizir, le visage illuminé d'un sourire béat. Je vous en procurerai un Sire.
– Faites en sorte qu'il soit grossier et terrible mon gourdin, commande le Maître.
Un sanglot éclate dans un coin ombrageux de la scène auquel succède des cris étouffés et des murmures. Le Magnifique sourit au pantin grotesque qui gît à ses pieds et ce dernier, hochant sa tête chenue dans un geste convenu, s'esclaffe :
– Sire, ne faites pas attention aux simagrées des bonnes femmes. Compléments elles sont, complément elles restent !


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