Finalement, les apparences sont trop souvent trompeuses. Et sous l'apparence sereine de la surface d'eau limpide, à peine troublée de temps en temps par le survol de quelques disgracieux frelons, où alors, carrément, par les plongeons de quelques immondes crapauds (surtout du côté de la rive ouest), d'une mare, l'esprit du tunisien tentait avec beaucoup de détermination et de courage, de recouvrir le dépôt de vase nauséabonde qui stagnait depuis plus de deux ans au fond, et que la moindre brise, avait tendance à faire remonter en surface. Et puis, un beau soir d'été, vint notre valeureux général Rachid Ammar s'inviter sur le plateau d'une chaine TV, autant dire qu'il s'est invité dans tous les foyers tunisiens. Ceux-ci étaient d'ailleurs tout contents de l'y recevoir, vu que c'était l'anniversaire de notre glorieuse armée, garante de notre « révolution ». Et voilà qu'en fin de soirée, il jeta un pavé dans la mare qui avait l'apparence si calme et si limpide. Puis, en plus du pavé jeté au beau milieu, le général prit une perche et s'amusa à racler le fond de la mare, histoire de remuer un maximum tout ce qu'avaient les tunisiens déjà beaucoup de peine à refouler. Il racla si fort, et remua si bien qu'il a fini, en partant, par laisser derrière lui, une flaque boueuse, trouble, nauséabonde. C'est une image qui décrit, à peine, l'état d'esprit du tunisien au générique de fin de l'émission de Moez Ben Gharbia, où Le général Rachid Ammar a lâché son « pavé » avant de tirer sa révérence. Il a, en effet, laissé derrière lui, telle une trainée, un sentiment difficile à décrire, mêlant de la tristesse, avec un peu de dégout, ajouté à un fond de terreur, le tout enveloppé dans nuage de désespoir et d'amertume. Car, mine de rien, le tunisien a beau être fanfaron, un peu trop railleur, il n'en reste pas moins un peu farouche sur les bords, et craintif, dès qu'il est question de toucher à sa sécurité et à celle de sa famille. Et on dirait que Rachid Ammar a su être patient avant d'annoncer sa décision. Il aura attendu que les tunisiens sachent très bien ce dont sont capables ces terroristes wahhabites, cannibales sauvages des temps modernes, descendus d'on ne sait quelle machine à remonter le temps. Rachid Ammar aura attendu que les médias internationaux diffusent et rediffusent les « exploits » de ces énergumènes, pour dire qu'il avait lui-même peur, qu'il n'arrivait plus à fermer l'œil de la nuit, tellement il avait peur. Lui, le généralissime, le plus gradé, le plus aguerri de notre valeureuse armée, lui qui en a vu de toutes les couleurs, et sous tous les cieux. Lui, il meurt de peur ? Que dire alors du pauvre tunisien habitué à sursauter à la moindre détonation des pétards que s'amusent à faire sauter les gamins durant les nuits de Ramadan ? Et puis, depuis quand, un soldat se permet-il de quitter son poste au beau milieu d'un combat, à partir du moment qu'il s'aperçoit qu'il sera dur à mener ? La réponse à cette question, et aux autres mots et maux rapportés par Rachid Ammar, est pourtant simple, et elle réside à l'intérieur de ce qu'il a raconté. Il a expliqué qu'il se déclare, en quelque sorte, vaincu, de part la situation dans laquelle il se trouvait. Il se devait de protéger une nation, un peuple, une « révolution ». Mais de qui la protéger ? Qui se cache, au fait, derrière le danger qui guette ce peuple et cette nation ? Une frange de ce même peuple qui se plait à prêter assistance aux terroristes ? Un pouvoir qui s'amuse à libérer de prison, et même à récompenser, des terroristes irréductibles qui ont et qui continueront à lever les armes contre leurs propres frères ? Un parti qui a envahi tous les rouages de l'administration et qui bloque sciemment, ou au meilleur des cas, par ignorance, tous les systèmes d'information et d'intelligence ? Il aura donc préféré partir, le général, las de cette situation où il se trouvait au service d'un peuple, qui demande la protection, et aux ordres d'un système qui se plait à se positionner du côté de « la menace ».