La Tunisie reste suspendue aux lèvres de quelques décideurs, qui parmi les principaux partis politiques et qui parmi les leaders du quartette, dans l'attente d'un semblant de projet d'ébauche de décision. Car à trop attendre, certains tunisiens commencent à se les geler. Non pas à cause de l'hiver qui est arrivé en trombe sans crier gare, ni à cause des nuits devenues glaciales, ni même sous les assauts de la faim qui les tiraille faute de pouvoir se nourrir décemment avec les prix qui s'affichent désormais, mais plutôt à cause de trop attendre veste à la main, avec les épaules et le dos à l'air. C'est malheureusement le sort que se sont choisi certains tunisiens qui se croient dotés d'un QI supérieur à la moyenne nationale, et qui se sont juré de ne pas se laisser prendre au dépourvu par deux fois. Ces concitoyens sont les adeptes, (que dis-je ? Les pros) du retournement de la veste. Ces énergumènes se sont réveillés un certain 14 janvier d'il y a quelques années, en sursaut pour remarquer que le vent a changé et qu'ils se devaient de réagir au quart de tour. Un simple coup d'œil aux infos, leur a, alors, permis de comprendre, et ils se sont rués sur les tiroirs de leur table de chevet, pour dénicher, défroisser et dépoussiérer leur carte d'adhérent à l'UGTT. Ils sont, ensuite, sortis dans la rue exhibant leur sauf conduit en criant à tue tête qu'ils ont toujours été des syndicalistes dans l'âme, mais qu'ils avaient, « tyrannie oblige », caché leurs sentiments. Ils sont pères de famille, pardi ! Et ils avaient peur pour leurs famille, « pas pour eux-mêmes » ! Il y en a même eu des plus rapides et plus prompts. Des gens qui étaient sortis un certain vendredi pour se diriger vers l'Avenue Mohamed V, histoire d'aller voir ce que les « frères » avaient décidé comme riposte. Et qui, chemin faisant, ont compris « la chose » et ont préféré se joindre à leurs « nouveaux » frères de l'avenue Bourguiba, et on les y a vus crier des « dégages » véhéments et presque convainquants. Quelques semaines plus tard, ils ont chiné des bérets rouges et des écharpes aux couleurs de la Palestine, et se sont retrouvés une fibre révolutionnaire qu'ils peinaient, disaient-ils, à cacher, auparavant. Ils se sont, aisément mêlés à la foule amassée place de la Kasbah, sans même savoir ce qu'ils scandaient, ni où çà allait les mener. Après, cela devint plus facile, presque un jeu d'enfants. Ils avaient, désormais le temps de voir venir. Ils ont même eu le temps de se laisser pousser la barbe. « Enfin ! » se plaisaient-ils à répéter, « on peut afficher librement sa conviction religieuse » ! Il y en a, même, qui se sont présentés à la direction du nouveau parti fort de la place en proposant son expérience en tant qu'ancien cadre du RCD « infiltré, pour la bonne cause », plaidaient-ils. C'est seulement après que çà commença à se gâter, à devenir flou, à devenir imprévisible. Ces individus en ont, presque usé leurs vestes, à force de les retourner puis de les re-retourner, et de les mettre sous tous les angles et sur toutes les faces. Ils n'y comprennent, décidément, plus rien. Un jour, croyant le tour joué, ils vont à la prière du quartier. Le lendemain, entendant d'autres nouvelles, ils se rasent la barbe et s'attablent au café des « Azlem » d'à côté, d'abord, timidement, puis assez franchement. Le surlendemain, ils s'affichent du côté des clubs des marxistes... Et rien, décidément rien, ne semble se dessiner, ni se décider. Rien qui puisse les aider à mettre une fois pour toute leur veste du côté qui sied avec la nouvelle conjoncture. A force de gigoter et de cogiter, ils vont finir par perdre la raison et par mettre leur veste en lambeaux. Décidément, la politique n'est plus ce qu'elle était. Et les temps deviennent durs pour ces retourneurs de vestes. Ce que ces individus ne comprennent pas c'est que si cette indécision s'éternise ainsi, c'est essentiellement à cause de leurs hésitations à eux. Car il aurait suffi qu'ils mettent leur veste du côté qu'ils ont définitivement choisi, pour que tout rentre dans l'ordre, et qu'ils aient aidé à faire pencher la décision vers un, ou vers l'autre des scénarios.