Accueilli aujourd'hui à l'aéroport Tunis-Carthage par son homologue M. Mouldi Kefi, M. Alain Juppé, ministre d'Etat, ministre des Affaires étrangères français, a fort à faire pour clore définitivement une séquence marquée par un flou diplomatique et relancer des relations franco-tunisiennes actuellement tendues. L'”affaire” Boris Boillon Donné “grillé” après des débuts plus que laborieux, Boris Boillon, l'ambassadeur de France en Tunisie, dont le nom du remplaçant commençait à circuler, a finalement conservé son poste. Beaucoup ne donnaient pas cher de sa peau. « Boris Boillon, un petit tour en Tunise et puis s'en va ? » titrait Mediapart le 8 avril 2011. C'est peu dire que dans les médias et les milieux diplomatiques, ces derniers temps, la cote du “Sarkoboy” n'était pas très élevée. L'ambassadeur ne s'était pas facilité la tâche, multipliant les erreurs dès son arrivée à Tunis. C'est pourquoi le nom de son “successeur” circulait avec insistance dans les couloirs du quai d'Orsay et sur certains sites : M. Yves Marek, enfant de la résistance tunisienne, Secrétaire général adjoint de la conférence des ambassadeurs, diplomate de formation. Une simple rumeur diffusée par des “oiseaux de mauvais augure” selon l'ambassadeur en place. Boris Boillon s'est fait plus discret. Celui qui se disait le « premier ambassadeur twitter » n'a plus posté un tweet depuis le 20 février. Et la photo du diplomate chippendale's a disparu du site copainsdavant.com. L'ambassadeur ne se montrait guère inquiet quant à son éventuel “déplacement”, reconnaissant des erreurs de communication à son arrivée. Sur un plan plus technique, la demande d'agrément au ministère des Affaires étrangères tunisien n'a jamais était effectuée comme le veut la tradition diplomatique. « Il n'y a là rien d'anormal. En Tunisie, cela n'a lieu qu'une fois par an et il y a d'autres ambassades où cette cérémonie des lettres de créance n'a pas eu lieu » a répondu Boris Boillon. Pas très loquace et fidèle au poste, M. Boillon continue sa mission diplomatique, en bon soldat, poursuivant son tour de la Tunisie et notamment des villes touristiques pour s'assurer de la possibilité de lever -sans risques- les restrictions qui pesaient alors sur le pays. Le 22 mars, lors d'une audition du ministre français des Affaires étrangères sur la Libye, des sénateurs représentants les français de l'étranger auraient encore demandé la révocation de Boris Boillon à Alain Juppé. Invité par l'Ecole de journalisme de Lille, Bernard Valero, le porte parole du quai d'Orsay réaffirmait pourtant le 8 avril qu'en Tunisie, la France rattrapait le temps perdu. Et d'ajouter : « l'ambassadeur en place garde toute la confiance du ministère pour coordonner ce plan ». France/Tunisie, des rapports parfois tendus Certes, depuis la chute de l'ancien régime, des ministres français se sont rendus en Tunisie ; six au total : Mme Christine Lagarde (Economie, Finances et Industrie), M. Laurent Wauquiez (Affaires européennes), Mme Nathalie Kosciusko-Morizet (Ecologie, Développement durable, Transport et Logement), M. Pierre Lellouche (Commerce extérieur), M. Eric Besson (Industrie, Energie et Economie numérique) et M. Frédéric Mitterrand (Culture). Mais M. Juppé, ministre d'Etat, ministre des Affaires étrangères, n'avait pas encore foulé le sol tunisien depuis le renversement de Ben Ali. Pourtant la France a de quoi se faire pardonner après sa gestion calamiteuse de la révolution. Le manque d'empressement affiché par le nouveau Ministre des Affaires étrangères à faire le déplacement de Tunis commençait même à susciter quelques soupçons. Attendu avant le 9 avril, Alain Juppé aurait reporté sa visite suite au coup de froid créé par l'ambassadeur Boris Boillon dans la capitale tunisienne et, surtout, en raison des crises libyenne et ivoirienne. Une visite attendue Intronisé le 1er mars, Alain Juppé aura donc attendu le mercredi 20 avril pour aller à Tunis, où il restera deux jours. Il s'entretiendra avec M. Foued Mebazaa, Président de la République par intérim, M. Beji Caid Essebsi, Premier ministre et avec M. Mouldi Kefi, ministre des Affaires étrangères. Il tiendra un point de presse conjoint avec ces deux derniers. M. Juppé rencontrera également des représentants de la société civile, notamment de jeunes blogueurs et des acteurs de la révolution. Il visitera également les locaux d'une chaîne de télévision publique et s'adressera en direct aux téléspectateurs tunisiens du journal du soir dont il est l'invité. Le ministre d'Etat recevra, à la Résidence de France, les présidents des trois commissions ad hoc mises en place par les Autorités tunisiennes dans le cadre de la transition démocratique : M. Yadh Ben Achour de la commission pour la réforme politique, M. Taoufik Bouderbala de la commission sur les abus commis durant la répression de la révolution et M. Abdelfattah Amor de la commission sur les affaires de malversation et de corruption. France-Tunisie : des dossiers explosifs Plusieurs sujets seront étudier durant cette visite. Le premier concerne les moyens que la France mettra à la disposition des Tunisiens pour les aider dans la transition démocratique. Lors d'un colloque sur le « printemps arabe », organisé le 16 avril à l'Institut du monde arabe, Alain Juppé s'était engagé pour une aide économique rapide avant d'ajouter : « La Tunisie n'est pas du tout abandonnée. Nous faisons beaucoup d'efforts pour l'aider ». Au programme, également, l'éventualité d'une relance de l'Union pour la Mediterranée (UpM). La question a été abrodée lors d'une réunion, au quai d'Orsay, des ambassadeurs en poste dans les pays arabes. Le 12 avril dernier, Serge Telle, l'ambassadeur de l'UpM recevait discrètement à l'Elysée M. Ghazi Mabrouk, coordinateur de l'Alliance Economique Européenne, un lobby interrégional dont il est le Vice-Président et Conseiller Spécial de l'Observatoire Européen du Maghreb. Son interlocuteur français lui a réitéré la détermination de la France à démentir les pronostics de disparition de l'UpM. La question la plus délicate concerne la gestion de l'immigration tunisienne. La presse tunisienne n'est pas tendre avec la France sur la question des émigrés tunisiens : « En ces temps durs où la diplomatie tunisienne a tiré son épingle du jeu, la réaction française n'est pas à la hauteur de son image, et j'avoue que Silvio m'a agréablement surpris, bien que je considère que tout ce qui se passe soit malheureux, car quitter son pays dans ces conditions à bord d'une felouque, on ne le souhaite à personne » écrit l'éditorialiste du journal économique WMC après les dérapages du gouvernement français, de Michèle Alliot Marie et l'interdiction par le France de traverser ses frontières aux immigrants tunisiens de Lampedusa et ce, malgré l'autorisation de se déplacer librement dans tout l'espace Schengen. Juppé tentera probablement de “calmer le jeu”, comme il en a fait la démonstration à l'Institut du Monde arabe : « Parlons ensemble de ce qu'est la laïcité, pour vous, pour nous, peut-être pourrons-nous nous retrouver sur un terrain commun. La France dispose d'un formidable outil diplomatique pour y parvenir et je voudrais saluer nos ambassadeurs de la région Afrique du Nord – Moyen-Orient dont j'ai dit qu'ils s'étaient réunis hier à Paris et qui ont assisté avec beaucoup d'assiduité à ce colloque. Nous devons simplement réorienter nos instruments en ce sens, qu'ils soient politiques, économiques ou culturels. Aujourd'hui, c'est toute notre politique à l'égard du monde arabe que nous devons repenser». Alain Juppé effectue donc une visite sous haute tension mais, comme le faisait remarquer le Premier ministre, M. Béji Caïd Essebsi, hier, lors de son entretien avec France24, les relations diplomatiques sont parfois tendues mais cela fait partie du jeu diplomatique.