Le cheikh finira tôt ou tard par s'en aller. Dégagé ou de son propre gré. Son départ du perchoir de l' ARP marquera sans doute un tournant dans le paysage politique national mais changera-t-il objectivement pour autant quelque chose ? Un éventuel départ de Rached Ghannouchi ne voudra forcément pas dire «sa » fin politique. Bien au contraire. Aigri, il sera encore plus redoutable. On ne se refait pas les 70 ans passés ! Son départ ne signifiera pas non plus la fin d'Ennahdha. Bien au contraire, là encore. Le mouvement islamiste s'est enraciné et a essaimé au sein de l'Administration, à tous les niveaux. La pensée islamiste s'est ancrée et est ancrée, dans bien des couches de la société tunisienne. Des régions entières et non des moindres, le Sud et Sfax sont dans la mouvance islamiste, pour ne pas dire acquises. Ne nous trompons pas. La société tunisienne dans son ensemble demeure foncièrement conservatrice. Pas extrémiste, mais conservatrice et déchirée. Elle l'est aujourd'hui bien plus qu'hier. Ce qu'avait édifié le grand leader Habib Bourguiba en termes d'unité et d'unicité de la Nation, d'Education raisonnée de la société, d'émancipation de l'homme et de la femme...avait fini par se lézarder. Le démon numide fait son grand retour, déliquescence du système éducatif, violence politique, violences faites aux femmes, violence de la rue...crise de valeurs. L'épicier du coin, le taxi vous en diront à ce sujet bien plus de choses. Ils sont à chaque instant dans la proximité. L'élite, ou ce qui est supposé l'être, est dans la compromission quand elle n'est pas dans le silence coupable. Ceux qui pensent que Ennahdha sera fini avec le départ du cheikh devront se raviser. Au-delà d'Ennahdha et de la crise politique actuelle au sommet de l'Etat, le grand et immense projet aujourd'hui consiste à cicatriser les blessures, à réconcilier le Tunisien avec lui-même et avec l'autre, à revenir aux Fondamentaux et comprendre la psychologie du Tunisien et de la société tunisienne. Le Tunisien est par essence « khobziste » A dire vrai, les Tunisiens ne sont ni très conservateurs ni très modernistes, ils sont souvent terre à terre…et beaucoup plus motivés par leurs intérêts vitaux, immédiats. Bref, ils sont khobzistes et c'est précisément dans cette nature, cette essence pour ainsi dire, qu'il faudra comprendre le "Tounousien"… Quand il est touché dans sa vie, dans sa santé, dans son pain quotidien et dans ses intérêts directs, ses enfants….il bougera et balayera tout sur son passage… Les experts du FMI l'ont saisi. Beaucoup mieux que nous-mêmes, hélas. C'est le FMI qui sera le véritable catalyseur du prochain tsunami en Tunisie…Les véritables souffrances vont commencer. Les deux prochaines années seront les années FMI. Instabilité, violence, grabuges… Ennahdha recevra des coups très durs. Aucun avenir même si elle reste incrustée dans la société. Le PDL de Abir Moussi marquera encore des points. Le président Kais Saïd aura de son côté la rue. Il lui faudra cependant s'entourer des meilleurs afin de donner un vrai contenu à son projet, afin d'être réellement et concrètement en mesure de répondre aux voix qui s'élèveront bientôt de la rue. Pour le Tunisien, ce qui compte, ce sont ses intérêts. Rien de plus rien de moins. Ce sont des "zindiks" , c'est-à-dire des hypocrites et des khobzistes comme disait Bourguiba. Jawhar Chatty – Ancien rédacteur en chef La Presse. Que se passe-t-il en Tunisie? Nous expliquons sur notre chaîne YouTube . Abonnez-vous!