L'essentiel d'abord, qu'il serait idiot de jeter dans l'oued : la Tunisie est le premier pays arabe à dessiner un véritable paysage politique démocratique. Il constitue une base de travail. À quelques dérapages près, que les Tunisiens appellent «dépassements» (influences illégales dans certains bureaux), l'élection est un franc et historique succès même si on n'a obtenu hier que des résultats partiels. La victoire relative des islamistes modérés d'Ennahdha semble effrayer dans nos contrées (environ 40%). Comment peut-on s'étonner que dans un pays musulman, un parti organisé, porteur de valeurs rassurantes, puisse arriver en tête ? Face au vide démocratique, à une immense page blanche, une partie de la population s'est réfugiée logiquement chez un parti conservateur et nationaliste. Durement réprimé sous Ben Ali de surcroît. L'échec du PDP (social-démocrate) et du PDM (gauche) accrédite l'idée car ces deux partis ont bâti leur campagne sur la diabolisation des « Nahdaouites ». Grosse erreur. Parmi les 217 députés, chargés d'écrire une nouvelle Constitution pendant un an, il va falloir construire une coalition. Ennahdha ne souhaite surtout pas prendre le peuple à rebrousse-poil et le pouvoir seul ou presque. Il a sa réputation et son aura récente à perdre. Les problèmes économiques et sociaux, la corruption endémique ne disparaîtront pas d'ici aux élections législatives et la présidentielle de l'année prochaine. L'éphémère assemblée constituante n'est pas là pour ça même si la campagne a souvent mélangé les objectifs. Aussi surprenant que cela puisse paraître du côté nord de la Méditerranée, Ennahdha pourrait bien trouver des alliés à gauche, au Congrès pour la République de Moncef Marzouki et chez Ettakatol dirigé par Mustapha Ben Jaafar. Ces deux partis ont pris bien soin de ne pas faire des islamistes modérés leurs ennemis. Tous les deux évoquent la nécessité d'un gouvernement d'union nationale. Une social-démocratie raisonnablement islamisée, à la tunisienne en somme, pourrait ainsi se dessiner à court terme. Enfin, l'émergence de deux listes tenues par des anciens partisans de Ben Ali et du RCD, son parti hégémonique, rappelle que l'ancien despote garde ses nostalgiques. Al Moubadra, de l'ancien ministre Kamel Morjane, et surtout Al Aaridha Chaabia, qui s'impose à Sidi Bouzid, à la fois le foyer de la révolution avec l'immolation de Mohamed Bouazizi et le fief de son leader, Hachmi Hamdi. Ironique pied de nez politique. Que seule une démocratie peut offrir. Comment peut-on s'étonner que dans un pays musulman, un parti organisé, porteur de valeurs rassurantes, puisse arriver en tête?