De tous les émissaires étrangers qui ont défilé en Syrie on n'a pas entendu, en tout cas pas officiellement, un dignitaire saoudien de très haut rang. C'est pourtant l'Arabie saoudite qu'a choisie le nouveau chef de la diplomatie syrienne, Assaad al-Shibani, pour son tout premier voyage hors du pays. Il a débarqué dans le royaume hier mercredi 1er janvier, sous le sceau d'une «nouvelle page dans les relations syro-saoudiennes»… Il est vrai que les deux pays reviennent de loin. Au début de la guerre civile, en 2011, Riyad avait appuyé et financé la rébellion pour faire tomber le régime de Bachar Al-Assad. Mais voilà, le premier soutien de ce dernier, la Russie, a fait 10 fois plus que tous les amis des insurgés réunis, avec un niveau d'acharnement sur les civils sans précédent. Ces bombardements massifs et aveugles, plus d'autres horreurs comme les armes chimiques, ont réinstallé le président alors qu'il était quasiment encerclé par ses ennemis, principalement les groupes armés sunnites. Il ne faut pas minorer ce dernier élément : cette bataille était aussi un combat entre deux confessions, le régime syrien étant piloté par les Alaouites, une variante du chiisme qui certes n'a pas exactement les mêmes dogmes que les Iraniens mais s'en réclame. Au bout de centaines de milliers de morts la rébellion s'est retranchée dans ses fiefs, dont Idleb d'où est parti Hayat Tahrir al-Cham (HTC) pour déboulonner le pouvoir en à peine 10 jours. En mai 2023, face à la réalité du terrain, le très pragmatique prince héritier saoudien, Mohammed Ben Salmane, a tourné casaque pour réintégrer Al-Assad dans la famille arabe. Rappelons que l'Etat satellite de Riyad, les Emirats arabes unis, avait été le premier à pactiser avec Al-Assad. Donc les nouveaux maîtres de la Syrie avaient de bonnes raisons d'en vouloir aux Saoudiens, mais eux aussi savent faire preuve de pragmatisme. Et surtout ils ont l'énorme chantier de la reconstruction de la Syrie après 13 ans de guerre fratricide qui a presque tout détruit, notamment les infrastructures. Et de l'argent les Saoudiens en ont, beaucoup, ils investissent jusqu'en Afrique, alors pourquoi pas chez le voisin syrien. C'est ce que le ministre d'Ahmad al-Charaa est allé chercher chez Ben Salmane, même si la diplomatie ne pose jamais les choses dans ces termes. «Je viens d'arriver dans le royaume frère d'Arabie Saoudite, accompagné du ministre de la Défense Murhaf Abou Qasra et du chef des services de renseignements Anas Khattab», a posté Assaad al-Shibani sur X. «Cette première visite dans l'histoire de la Syrie libre nous permet d'ouvrir une nouvelle page dans les relations syro-saoudiennes, à la hauteur de la longue histoire commune entre nos deux pays», a ajouté le chef de la diplomatie syrienne. Un peu plus tôt dans la journée d'hier mercredi les médias d'Etat syriens ont fait savoir que cette visite se fait «à l'invitation du ministre saoudien des Affaires étrangères». Une manière de dire que Damas ne court pas derrière Riyad, que les rebelles n'ont pas complètement oublié la petite traitrise de Ben Salmane, mais personne n'est dupe... A noter que la délégation syrienne, composée entre autres du chef des services de renseignement Anas Khattab – ça aussi c'est une indication -, a été reçue à son arrivée à l'aéroport de Riyad par le vice-ministre saoudien des Affaires étrangères, Waleed bin Abdulkarim El-Khereiji. Rappelons qu'en décembre dernier une délégation saoudienne avait conversé à Damas avec le chef du HTC et de la transition, a confié une source proche du gouvernement saoudien. Mais tout cela s'était en toute discrétion, sans effets d'annonce vu le contentieux entre les deux parties. Enfin la semaine dernière, dans un entretien avec la chaîne de télévision saoudienne Al-Arabiya, Ahmad al-Charaa a clairement dit que l'Arabie Saoudite «jouera certainement un rôle important dans l'avenir de la Syrie», soulignant «une grande opportunité d'investissements pour tous les pays voisins». A partir de là le voyage du ministre syrien des Affaires étrangères était écrit. On suivra les développements de cette affaire dont le futur de la Syrie dépend en grande partie, vu le poids écrasant de Ben Salmane dans le monde arabe. Que se passe-t-il en Tunisie? Nous expliquons sur notre chaîne YouTube . Abonnez-vous!