Le 4 février, on a eu droit à un discours du président provisoire de la République dont l'intention, ou au moins la signification profonde semble être la parodie d'un vrai discours présidentiel : un discours à cinq points perçus comme autant de coups de poing à la face de l'institution présidentielle. Telle est l'intime conviction de bien nombreux Tunisiens qui se sont éclatés sur les réseaux sociaux, dans les cercles de discussion et dans les lieux publics. L'essentiel de ces attitudes, somme toute concordantes sur l'essentiel malgré une certaine variété sur le ton et sur la forme, peut se résumer en ce qui suit : « Un discours présidentiel qui se respecte, surtout en temps de crise, devrait être un vrai discours créatif et non se contenter de nous dire que notre crise est créative ! Au fait, de quoi est-elle créative, cette crise ? D'une banalisation absolue des institutions républicaines et à leur tête l'institution présidentielle ? De la tendance à restaurer la culture d'un séparatisme de discorde et de violence contre une culture patiemment édifiée de la tolérance et du respect des différences, cette seconde culture ayant résisté dans la conscience citoyenne au-delà de tous les conflits réels ou inventés par les politiciens du Après moi,le déluge ! ? Quant au discours présidentiel proprement dit, il n'y aurait qu'une de deux façons de l'interpréter : ou bien M. Marzouki a voulu nous donner une autre preuve, si besoin est, de son dénuement absolu de toute attribution à même de lui permettre d'agir, ce que nous ne savons que trop ; dans ce cas on aurait envie de savoir pourquoi il a accepté ce statut pour lequel il avait semblé prêt à tout donner, et surtout pourquoi il s'y maintient même dans les circonstances qui lui ont souventdonné l'occasion de faire prévaloir la nécessité d'un autre rôle pour le président dans une période de transition dite démocratique. Ou bien alors, en seconde lecture, le président transitoire a intériorisé ce rôle, comme on l'a voulu pour lui, un rôle qui semble coller à ses intentions profondes, en négociant le poste à son propre et seul profit : celles d'une villégiature présidentielle peu responsable, assez divertissante, laissant même une large marge de manipulation pour la prochaine échéance électorale. Dans ce cas de figure, on serait tenté de dire tout simplement : quel dommage et quelle désolation ! De la responsabilité, exigeait de nous notre président ! Mais aujourd'hui, le citoyen ne fait qu'assumer la responsabilité des responsables qui n'assument pas la leur ! Le citoyen est dans l'attente désespérée d'un regain de conscience de son élite, politique et autre, pour assumer pleinement sa citoyenneté dans le juste intérêt de tous. Voyant la distance qui de plus en plus le sépare de son élite et l'autre distance vertigineuse qui sépare cette élite de l'objectif central et essentiel, il continue d'observer, la mort dans l'âme, un cirque tragicomique qui se joue de lui et à ses propres frais. Et de temps en temps, comme pour donner des couleurs au marasme qui ternit son visage et attriste son cœur, il se rend compte qu'il a un président et que ce dernier vient parfois lui parler pour lui extirper un sourire qui, sous prétexte de lui donner de l'espoir, lui tend le miroir brisé de son insoutenable douleur. » D'aucuns trouveraient les Tunisiens un peu trop sévères avec leur président, ce qui est peut-être vrai. Toutefois, il importe peut-être de comprendre un peu ces Tunisiens par trop exaspérés par des gens peu entreprenants qui ne font que les suppléer, eux les pauvres gens, de comprendre leurs responsables alors que peu de responsables comprennent vraiment ces pauvres gens. En effet, quand un responsable parle aux citoyens pressés par leurs conditions et leur impatience pour les mendier un peu plus de patience, on n'est plus sûr que le courant passe vraiment.