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«Nous sommes dans une étape de désinstitutionnalisation de l'Etat tunisien !»
Interview : Pr Sadok Belaïd à La Presse

Une nouvelle constitution, des institutions de régulation, la détermination de la nature du futur régime, la préparation et la réglementation des prochaines élections, les bases d'une justice transitionnelle... L'été 2012 devait être la saison d'une gestation sereine et rationnelle de l'avenir démocratique de la Tunisie, de l'Etat de droit... Il en est tout autrement dans les faits où l'accumulation des dérapages politiques, des dépassements juridiques, des exemples d'incohérence et de discorde dans l'action du gouvernement fait piétiner le processus. La démission du ministre des Finances, le limogeage du gouverneur de la Banque centrale, les retards et les infinis dérapages des débats au sein de la Constituante... Auparavant, la déclaration du député Baroudi, comparant la Tunisie de 2012 à une «République bananière», venait illustrer l'inquiétude d'une bonne partie de l'opinion et de l'élite...
Le premier à avoir relevé l'illégalité de l'article 56 au soir du 14 janvier, Professeur Sadok Belaïd, fait ici le constat d'une véritable «désinstitutionnalisation» de l'Etat. L'ex-doyen de la faculté de Droit de Tunis, auteur d'un avant-projet de Constitution, répond à nos questions dans un décryptage expert de l'actualité.
Le soir du 14 janvier, vous étiez le premier à relever l'illégalité de l'article 56. Depuis, vous avez toujours eu des positions sans compromis. Vous avez remis en question la Haute instance et les commissions d'investigation. Vous vous êtes prononcé pour l'élection directe de la Constituante et pour le référendum populaire autour de la Constitution et du choix du régime... Pensez-vous que la tournure actuelle que prennent les évènements sur la scène politique vous donne raison ? Et si c'était à refaire, quel scénario proposeriez-vous ?
Il y a ces derniers jours cette forte controverse sur le choix de la nature du régime et la possibilité que cette question finisse par être présentée au peuple. Cette hypothèse d'une division dans l'opinion sur une question constitutionnelle, je l'avais envisagée dès le début. J'avais soutenu qu'il était trop risqué de réunir une Assemblée constituante dans cette conjoncture marquée par l'incertitude et qu'il était sage d'organiser un référendum. On ne pouvait pas donner un chèque en blanc à l'Assemblée. Il valait mieux poser cette question au peuple, aux syndicats, aux experts, aux représentants de la société civile censés éclairer l'opinion publique : quelle direction prendre ? C'était plus simple de poser la question au début. Nous traversions une phase transitoire dans laquelle le pays se cherchait après s'être débarrassé d'un régime exécrable et aspirait à un meilleur régime. Maintenant nous nous trouvons dans la même situation mais en beaucoup plus compliquée. Il y a des partis qui se sont interposés. Les citoyens sont de plus en plus perdus. Le fait que la vie des partis et les débats au sein de la Constituante évoluent ainsi ne signifie pas que le citoyen a forcément une meilleure connaissance et un jugement plus lucide sur la chose politique et les choix à faire. La révolution nous a pourtant apporté les fondements d'un nouveau régime politique. Ces fondamentaux se résument en quatre ou cinq principes : dignité, justice, liberté, solidarité. Un régime qui assure la dignité de tous, établit une justice acceptable, garantit la liberté et respecte le droit et préserve les citoyens de la répression des dictatures devait être le bienvenu quelle que soit son obédience. Or ce qui s'est passé c'est que tous les partis anciens et nouveaux sur la place se sont approprié cette révolution, chacun pour ses propres appétits. Outre cette première dérive qui nous a fait oublier la révolution, il s'est trouvé par une autre dénaturation des faits que des élections s'opèrent dans des conditions inappropriées et qui, pour des raisons objectives, ont privilégié Ennahdha. Les chefs d'Ennahdha vont revendiquer la démocratie qui les arrange : une démocratie du 50+1. Or, la Constitution ne peut pas être démocratique avec 50+1... Car il ne s'agit pas de réaliser la Tunisie d'Ennahdha mais la Tunisie de tous les Tunisiens où chaque classe, chaque individu doit se reconnaître. La troisième dérive : il se trouve qu'Ennahdha se fondant sur une idéologie religieuse et non sur la rationalité politique fait entrer le pays dans un monde irrationnel et extrapolitique...
Qu'est-ce qui peut se produire donc ? Quels scénarios prévoir?
Ou bien Ennahdha poursuit sa logique fondée sur un référentiel religieux et une dimension étriquée de la démocratie pour un régime fondé sur une forme théocratique. Le leitmotiv du sixième califat n'est pas fortuit. Il y a des électeurs, il y a des salafistes, il y a beaucoup de monde qui l'oblige à cela. Ce qu'on peut imaginer si Ennahdha continue dans cette voie, et comme elle a pu obtenir les voix du quart de l'électorat, elle va avoir contre elle les trois quarts restants. Cette situation a son lot d'instabilité politique, d'insécurité, de blocage économique, de rupture avec le monde extérieur renvoyant la reconstruction du pays aux calendes grecques. Pour les prochaines élections, les Tunisiens devraient assumer leur choix. Les partis, la société civile, les médias devraient leur donner suffisamment d'éléments de jugement pour que chacun prenne la meilleure décision.
Le deuxième scénario consiste en un effritement de la Troïka par usure et par faillite du pouvoir comme cela se profile actuellement. On risque alors de se retrouver dans une nouvelle phase de turbulences et d'instabilité qui a pour raison essentielle le manque de rigueur et de loyauté des dirigeants politiques.
La troisième hypothèse, c'est que toute la classe politique, de l'extrême droite à l'extrême gauche, passe à l'autocritique et s'engage sur une nouvelle voie en se référant exclusivement à l'intérêt supérieur de la nation. On va alors trouver dans notre patriotisme la force d'exorciser les risques qui nous guettent. Une reconsidération désintéressée de la situation s'impose. Elle passe par la négociation et devra aboutir à une forme différente de pouvoir avec une première urgence qui est la finalisation de la Constitution. On peut arriver à une forme de conférence nationale. Il faut laisser les couteaux dehors, faire appel aux spécialistes pour aboutir à un texte qui soit le plus sain et ne pas avoir honte à le présenter au référendum populaire. C'est le sésame dans tous les cas de figure.
Devant le piétinement de la troïka et des débats au sein de la Constituante, quel autre acteur politique pourrait jouer un rôle dans cette négociation ?
Sur l'échiquier politique actuel, l'Ugtt est la partie la plus à même de jouer le rôle du «middle man». Elle est la seule à détenir cette puissance de réunification et de reconstruction du pays. Ce rôle pacificateur même Ennahdha le lui reconnaît. L'Ugtt serait le maître du jeu dans cette conférence nationale qui serait chargée de rédiger la Constitution. A côté, un gouvernement restreint composé de personnalités indépendantes aurait pour mission la gestion des affaires courantes et des urgences sans préjuger des choix futurs.
Le gouvernement de M. Jebali s'engage-t-il trop loin ou trop peu à votre avis ?
Je trouve qu'il est fallacieux de s'engager sur un programme en 365 points dans cette période. Il faudrait un effort surhumain pour le réaliser... C'est une fanfaronnade. Il fallait se contenter des mesures d'urgence comme l'a fait le gouvernement de Caïd Essebsi : la sécurité, un fonctionnement normal de l'appareil de l'Etat, un peu d'espoir... Actuellement, toutes les initiatives prises par ce gouvernement sont d'ordre politique. Elles s'inscrivent dans la perspective des prochaines échéances électorales au lieu de s'engager à sortir la Tunisie de cette mauvaise passe sans stabilité, sans constitution, sans Etat de droit...
La vérité historique est qu'en une année, on ne peut rien engager. On ne peut que s'engager à bien faire face aux urgences, telles les inondations, l'alimentation en eau... La justice transitionnelle, c'est le règlement d'un arriéré triste et pas très glorieux. C'est illogique de le réaliser dans une période transitoire. C'est vrai que plus on la retarde, plus cela se complique. Mais si le dossier s'ouvre dans une période d'instabilité sur le plan du droit à appliquer, il se produit automatiquement une accumulation de nouvelles injustices. La mission de l'Assemblée constituante pouvait être de prendre des mesures préparatoires au moins. Au bout d'une année, les bases de la justice transitionnelle devaient être installées dans une atmosphère de sérénité. Malheureusement, à cette date on n'a même pas pris des mesures d'urgence dans ce sens. Les gens de l'ancien régime nous narguent, utilisent les mêmes méthodes et les mêmes voies de corruption qu'avant. L'actuel gouvernement a fait avorter cette idée de justice destinée à apporter calme et sérénité à la société tunisienne. Il a voulu tout entreprendre en même temps. C'est l'ignorance qui donne de telles prétentions. Ce sont les prochaines échéances électorales aussi.
Le 9e congrès d'Ennahdha a-t-il suffisamment donné le ton et la mesure du futur positionnement de ce parti sur l'échiquier politique ?
Pour le moment, Ennahdha a le beau rôle. Cependant, on ne peut juger du sérieux de la nouvelle donne qu'après avoir vu les autres formations tenir leurs congrès et annoncer leurs programmes. Ce congrès fut un grand show d'un parti structuré depuis longtemps mais qui a fait l'impasse sur les questions fondamentales. Ce qui a dominé dans ses actes officiels, c'est plus une littérature destinée à éblouir l'opinion sans donner des assurances quant à sa faisabilité. Cela reste au niveau de la démagogie oiseuse et sans consistance.
Quel regard portez-vous sur le reste de l'actualité politique, à commencer par la démission et les déclarations du ministre des Finances ?
Pour comprendre la gravité de cette démission du ministre des Finances, il faut la coupler avec l'éviction, la semaine dernière, du gouverneur de la Banque centrale : c'est, en l'espace de 8 jours seulement, le départ des deux principaux responsables de la politique financière et monétaire du pays. Un tel double départ, dans un pays démocratique, aurait fait l'effet d'une véritable bombe et aurait entraîné la démission du gouvernement, ou tout au moins sa fragilisation extrême. Le gouvernement actuel ne pense, évidemment, pas à la démission, et cela pour des raisons de nature politicienne. Cependant, il doit comprendre qu'on ne peut ainsi se priver impunément d'un économiste de grand talent et d'un gouverneur de l'institut d'émission salué comme le meilleur banquier de tout un continent, comme l'a déjà immédiatement démontré la dégradation de la note souveraine de notre pays. Cependant, même s'il n'a pas cette intention de démissionner, ce gouvernement est aujourd'hui extrêmement fragilisé. Plusieurs autres membres, quatre ou cinq, sont destinés à partir ou à se trouver dans une situation d'inaction quasi totale. Le gouvernement, dans sa composition actuelle, se trouve dans un état de mort clinique : il respire toujours, mais il est médicalement mort.
A l'occasion de la nomination de M. Chedli Ayari, nouveau gouverneur de la Banque centrale, la polémique s'installe de nouveau autour des «critères incohérents» et, en général, de la stratégie de recrutement adoptés par l'actuel gouvernement...
Chedli Ayari est un éminent économiste que je connais personnellement depuis 50 ans. Il est le premier économiste tunisien, le premier agrégé d'économie, le premier doyen de la faculté de droit et d'économie. Il a formé plusieurs générations d'économistes tunisiens parmi lesquels se trouve d'ailleurs Mustapha Kamel Nabli. Il a occupé des postes ministériels importants tels ceux du plan, de l'éducation, de l'économie. Il a été le premier Arabe à diriger la Banque africaine de développement. Il a un CV qui n'est pas négligeable, mais qui reste discutable. Chedli Ayari est un économiste, là où nous avons besoin d'un monétariste, d'un financier. Il est aussi discutable si on se réfère aux critères de collaboration avec l'ancien régime. Si c'est un critère de disqualification comme le prône Ennahdha, alors il est bien placé pour être disqualifié. Ennahdha ne peut pas faire la chose et son contraire. C'est regrettable à dire, mais la grande majorité des responsables nommés au rang des fonctions supérieures ont apporté la preuve de leur parfaite incompétence. Le chef du gouvernement M. Jebali en personne l'a reconnu à l'occasion de sa visite à Sousse où il s'est indigné de l'accumulation des ordures. Il a lancé : où est mon gouvernement sans chercher à savoir s'il est lui-même compétent. Malheureusement, ce sont des hauts postes de commande et de représentation de l'Etat qui exigent compétence et représentation et doivent donner une image forte de l'Etat, de la culture et de la civilisation du pays. A côté de l'expérience politique, il y a le devoir de représentation. Avec par exemple un ministre des Affaires étrangères qui s'emmêle les pieds, on est en droit de se demander qu'est-ce qu'on a fait pour mériter de pareilles nominations. Cela ne touche pas que les départements ministériels. Quand on descend d'un cran, les choses ne vont guère mieux. Il est démontré que les critères de recrutement sont loin d'être fondés sur la compétence.
Notre actualité est aussi faite par des mots qui une fois lâchés, répercutés, nous mènent plus loin qu'on ne le croit. Que pensez-vous de la comparaison de la Tunisie de 2012 à une République bananière ? Partagez-vous cette image du député Mahmoud Baroudi ?
Il y a la formule elle-même et il y a l'incident créé autour. A commencer par l'incident, il est important car très significatif de la culture politique très limitée de la majorité au pouvoir qui s'est complètement leurrée sur le sens de l'expression. Car en vérité, la formule est couramment utilisée dans les médias et dans les discours politiques. République bananière signifie un pays corrompu, une république manipulée par l'ex-puissance colonisatrice qui fait et défait les présidents comme on change de chemise. Il y a dans la formule une allusion à certaines activités malhonnêtes. Maintenant si l'image rend la réalité tunisienne, il est évident que nous sommes dans une république bananière où la corruption, le népotisme, le tribalisme, l'incompétence jouent de plus en plus dans la gestion des affaires du pays. Prenez l'exemple des nominations. Nous avons un groupe de ministres, de secrétaires d'Etat, de conseillers qui dépasse en nombre les normes internationales dans les pays aux compositions les plus complexes. Tout autour, il y a une extension excessive des cercles du pouvoir avec tout le jeu d'influence qui l'accompagne. Se revendiquer d'un certain passé pour obtenir des passe-droits, cela devient symptomatique de l'étape que nous traversons et qui est fortement caractérisée par le trafic d'influences, de nouvelles formes de corruption, bref une nouvelle mafia ! Nous avons eu la mafia des anciens combattants, puis les loyaux du régime de Ben Ali, maintenant nous assistons à la naissance d'une nouvelle mafia se réclamant d'Ennahdha.
A l'heure où l'on devait assister à la construction de l'Etat de droit, on assiste à la dissolution des instances qui ont fait la transition. Comment l'expliquer ?
Nous sommes carrément dans une étape de désinstitutionnalisation de l'Etat tunisien ! Les institutions sont en train de disparaître ou d'être affaiblies et réduites au silence dans le seul but de ramener le pouvoir à la personne du dirigeant suprême. Le régime politique jusqu'ici appliqué par Ennahdha est fondé sur le discours de Ghannouchi qui concentre les pouvoirs au nom du peuple. C'est l'essence même du calife et du califat.. On désinstitutionnalise l'Etat pour mandater la personne...
L'actualité est aussi marquée par la discorde autour de la détermination du régime futur. Pourquoi, selon vous, le parti Ennahdha tient-il autant à l'instauration du régime parlementaire ?
Le régime parlementaire est par définition l'exemple idéal de la diffusion du pouvoir. Cependant, le régime parlementaire visé par Ennahdha ne se revendique pas du tout de cette catégorie. C'est un régime qui donne tout le pouvoir au parlement qui, à son tour, délègue tout le pouvoir au chef du gouvernement qui, à son tour le lègue intégralement au guide suprême. Pour le comprendre, il faut analyser la situation actuelle où le chef du gouvernement, M. Jebali n'a même pas obtenu la latitude de changer son gouvernement. Au lendemain du congrès de son parti, il est normal et évident que le chef du gouvernement fasse le geste même partiel de remanier son gouvernement, de changer quelques ministres. La réalité est qu'il en a été empêché parce que le pouvoir n'est pas détenu par les institutions constitutionnelles comme le parlement, le gouvernement et le chef du gouvernement, mais par quelqu'un qui est en dehors de ces institutions ; en l'occurrence Rached Ghannouchi qui ne représente rien dans les mécanismes institutionnels.
D'où pensez-vous qu'il tire son pouvoir et celui de son parti ? De la légitimité électorale ? Celle-ci suffit-elle, comme cela se fait entendre, pour tout légitimer ?
Le parti Ennahdha ne tire pas sa puissance du million et demi de Tunisiens qui l'ont élu et qu'il n'espérait pas du tout, mais de ce qu'il est le satellite d'une pieuvre, d'un astre plus grand dont le centre se trouve quelque part dans la région du Golfe arabique. Ennahdha n'est qu'une filiale de ce réseau dit islamiste manipulé par les puissances du Golfe elles-mêmes dirigées par les Etats-Unis dans un but très ancien de diviser pour régner et d'assurer ses intérêts économiques dans la région.
Quel est à votre avis le régime politique qui sied le mieux à la Tunisie ?
Les membres de l'ANC se sont épuisés dans des palabres tout à fait gratuites sur les mérites et les faiblesses respectifs des régimes parlementaire et présidentiel. Le vrai problème n'est pas de choisir l'un ou l'autre de ces deux régimes politiques classiques, mais de se poser et de répondre à la question fondamentale de savoir : Quels sont les objectifs que la Révolution a assignés au nouveau système politique ? Une fois la réponse adéquate aura été apportée à cette question essentielle et préalable, il faut définir la structure du pouvoir politique qui réponde à ces exigences. Or, les principes fondamentaux de la Révolution sont en tout premier lieu, centrés sur la condamnation des régimes dictatoriaux, basés sur la personnalisation du pouvoir et sa concentration absolue. Or, comme on l'a vu avec l'ancien régime, toute forme de personnalisation du pouvoir conduit à son gigantisme, lequel conduit inexorablement à la corruption, à la répression et à l'injustice. Il faut par le fonctionnement des institutions que «le pouvoir arrête le pouvoir», comme le dit Montesquieu. La forme du pouvoir que le peuple tunisien attend est un système qui établit un équilibre des pouvoirs (présidentiel, gouvernemental, parlementaire, et juridictionnel) et met en place un système de freins et de contrepoids : les checks and balances dans la tradition anglo-saxonne. Chaque pouvoir peut fonctionner dans le cadre des compétences qui lui sont attribuées, mais en même temps, il reste sous la surveillance des trois autres pouvoirs qui peuvent à tout moment actionner les freins contre une éventuelle dérive. Le système auquel on aboutira par l'application de ces principes fondés sur la démocratie, ne sera ni parlementaire ni présidentiel, mais il aura le mérite d'exprimer les attentes du peuple et de la Révolution. Nous avons proposé un avant-projet de constitution qui correspond à ces préoccupations. Avec d'autres projets inspirés des mêmes principes fondamentaux et proposés par la société civile, la Tunisie pourra inventer un système démocratique et participatif qui lui est propre, qui lui permet d'apporter une réponse originale à la difficile question de la définition des régimes politiques et qui sort des sentiers battus du parlementarisme et du présidentialisme classiques.
D'Ennahdha au POT, qui vient de renoncer au C du communisme, tous les partis sont plus ou moins en train de migrer vers le Centre, sur le plan des slogans. En réalité, le paysage politique semble marqué par une bipolarisation accentuée entre conservatisme et libéralisme. Quelles en seraient les conséquences et pensez-vous que cette bipolarisation politique se traduit par une division sociale et culturelle ?
Merci de poser cette question très importante. Depuis plusieurs décennies, nous avons défendu l'idée de l'équilibre entre les pouvoirs et leurs institutions qui s'inspire de la situation socioculturelle actuelle de notre pays. Indiscutablement, la Tunisie est divisée entre deux grands groupes socioculturels et politiques, le premier tourné vers le conservatisme, et actuellement exploité par un pur opportunisme politicien par les groupes religieux comme Ennahdha alliée du salafisme, et le second groupe, qui milite pour des choix modernistes, libéraux et laïcs. Dans quelle direction le pays va-t-il s'orienter dans les prochaines années ? La réponse est qu'il existe une différence politique fondamentale entre le groupe moderniste et le groupe nahdhaoui : le premier, avec ses faiblesses, a construit la Tunisie actuelle, mais a été usé par le pouvoir. Il affirme avoir tiré les leçons du passé et être prêt à suivre une nouvelle politique de développement équitable et continu, qui serait de nature à lui faire regagner la confiance du peuple. Le second groupe promet des lendemains qui chantent mais sans autre preuve que la foi de ses militants. N'ayant jamais détenu ni exercé le pouvoir, et s'étant limité à un rôle critique, il peut, à la limite, entretenir pour un temps, des illusions, mais une fois qu'il aura obtenu la conduite des affaires politiques du pays, il se retrouvera de l'autre côté de la barricade, comme c'est le cas maintenant.
Pensez-vous que l'initiative «Nida Tounès» puisse offrir aux Tunisiens une alternative démocratique sérieuse et crédible ?
Nida Tounès, c'est un peu le produit des déceptions et des désillusions données par les partis de gauche qui n'ont pas su s'unir. L'initiative est venue un peu par désespoir avec l'échec des tentatives de dépassement des ego et de rapprochement de la gauche. Mais en toute objectivité, Nida Tounès se présente comme étant le centre le plus à même de regrouper autour de lui une grande partie de l'opposition. Il part avec un capital un peu terni qu'il peut revivifier; c'est certain qu'il y a des fidélités à l'ancien Destour. Mais en général, il se distingue par une mouvance totalement différente de celle d'Ennahdha. Ce sera évidemment l'alternative la plus solide et la plus crédible mais à la condition qu'il puisse parachever sa construction et s'implanter en force sur l'échiquier politique en un temps relativement court. Il faut pour cela beaucoup de moyens et de temps à rattraper. Or, le temps sera de plus en plus rétréci, lors des mois prochains pour les formations politiques étant donné qu'Ennahdha a beaucoup de longueur d'avance...
Existe-t-il dans tout cela des prémices qui peuvent aider à prévoir le futur paysage politique ?
Il y a les résultats du scrutin du 23 octobre. A ce moment, Ennahdha a fait le plein. Mais cette configuration n'est pas extensible à l'infini. Avec ses soixante mille adhérents et les possibilités d'agglomération que cela comporte, le parti aurait entre un million et un million et demi de votants. A mon avis, il ne peut aller au-delà de son score du 23 octobre. Restent quatre à cinq millions de votants, y compris le taux minimum de 20% d'abstentions... Ces millions pourraient très bien être rattrapés par le groupement alternatif. Pour cela, il faut beaucoup de militantisme, de travail de terrain, de communication directe, de pédagogie quotidienne dans le discours et par les médias.
Vous étiez candidat indépendant à l'Assemblée nationale constituante. Auriez-vous un rôle à jouer aux prochaines élections ?
Avoir été candidat à la Constituante m'a énormément déstabilisé. Cela m'a coûté beaucoup d'efforts et beaucoup d'argent. Mais, ce n'était pas une ambition politique. C'était un engagement d'expert. Avec mon projet de Constitution, je n'y suis pas entré les mains vides. Pour les prochaines élections, c'est différent. Mon rôle sera d'observer. Au-delà de l'observateur, je n'ai aucune ambition politique. J'ai la mission naturelle de réfléchir, d'analyser, de partager. C'est un rôle tout aussi indispensable que celui de politicien : celui de l'éclaireur.


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