« La censure, quelle qu'elle soit, me paraît une monstruosité, une pire chose que l'homicide. L'attentat contre la pensée est un crime de lèse-âme ». Gustave Flaubert, « Lettre à Louise Colet », 9 décembre 1852. Des malfrats – probablement des terroristes – en veulent à la vie de la vedette des militants tunisiens, le célèbre leader de la formation ultra-démocratique, d'obédience ultra-islamiste, son illustrissime sainteté R. Gannouchi, que Dieu l'agrée ! La preuve est on ne peut plus irréfutable. Le ministère de l'intérieur s'alarme et décide de faire bénéficier l'instigateur de la révolution tunisienne ou, plus précisément, son père spirituel, d'une surveillance serrée. Un autre indice, non moins alarmant, consiste dans le fait que le journal Al-fajr, réputé pour sa pondération et sa pertinence, s'émeut à un point tel qu'il se répand en accusations et invectives contre les commanditaires probables de cet acte ignominieux. Et il s'avère qu'ils sont – quelle horreur ! – plus nombreux qu'on ne le pense. A en croire ce génial journaleux analyste, et compte tenu de ses hypothèses et de ses conclusions, aussi irréfutables les unes que les autres, c'est toute la Tunisie qui en voudrait à la vie de R. Gannouchi. L'éditorialiste du journal Ahkir Khabar décortique la nouvelle et montre, moult arguments à l'appui, que le leader islamiste est l'unique cible en Tunisie que les terroristes ne pourront jamais, à moins d'un miracle, atteindre. Rien n'en fait, fans et prosélytes continuent de mener un boucan du diable, comme quoi, à travers l'auguste personne de leur chef, ce serait le processus démocratique, dans sa totalité, qui est visé. Mieux encore, c'est cette fameuse « révolution du jasmin », qui paradoxalement ne sent pas du tout le jasmin, qui est ciblée par les contrerévolutionnaires avérés, ennemis irréductibles de la Tunisie, du dialogue, de la tolérance et de la paix, ces nobles valeurs pour le triomphe desquelles que le leader islamiste a sacrifié sa vie ! Moins de deux jours nous séparent de la fête du réveillon, elle aussi sérieusement menacée par l'extrémisme religieux. Curieusement, ce sont, parmi les imams et consorts, les farouches tribuns nahdhaouis, à l'image de celui de la mosquée Lakhmi à Sfax, qui se sont illustrés dans la condamnation de cette hérésie, héritée de l'ère despotique. Tous les propagandistes de service s'emploient, de leur mieux, à convaincre les âmes pécheresses de renoncer à cette ignominie. Pour leur forcer un peu la main, certains, parmi les plus enthousiastes des « enfants » du leader nahdhaoui, cloué chez lui pour échapper à ses tueurs, désespérant d'y arriver par la bonne parole, recourent aux moyens musclés de leurs congénères saoudiens, les sinistres moutawwa'as wahhabites. C'est sur ces entrefaites que des sources indéterminées annoncent une nouvelle selon laquelle le leader d'Ansar Shari'a, le célèbre Abou Iyadh, aurait été arrêté en Libye. En dépit de l'importance de cette nouvelle, et malgré les démentis qui fusent de partout, en particulier des faucons nahdhaouis, on n'arrête pas de parler de cet incroyable attentat que les forces obscures du mal continuent activement de tramer contre le garant du processus démocratique tunisien, l'homme qui, à maintes reprises, a déclaré ouvertement, lors de ses prêches du vendredi, sa détermination de lutter contre les écarts que la dictature a, six décennies durant, inculqués aux pauvres tunisiens. L'interdiction des boissons alcoolisées et, bien entendu, les lieux de perdition ou ses breuvages satanique se vendent et se consomment, constitue l'un des objectifs démocratiques de l'angélique R. Gannouchi ! On continue donc de parler du chimérique attentat contre le chef de file des démocrates tunisiens, et on ignore totalement l'attentat avéré que les champions nahdaouis du minbar et leurs acolytes d'Ansar Chari'a entendent perpétrer contre la fête du réveillon, jugée haram par ces instances austères. Les nahdhaouis tremblent pour la vie de leur chef, mais personne ne tremble pour la joie de vivre des tunisiens. C'est dans ce climat de suspicion et d'incertitude, à l'heure même où l'on se demandait si l'attentat allait avoir lieu, que ce dernier s'accomplit. Mais il s'agit d'un attentat d'un autre ordre, que les services sécuritaires, et pour cause, ont oublié de dénoncer. C'est que cet acte lâche s'est produit à une heure tardive, en plein « foyer de la légitimité » populaire ou nahdhaoui, ces deux adjectifs étant désormais synonymes comme l'étaient naguère populaire et tajammou'i. Ce crime inqualifiable, qui cible en particulier la bourse des tunisiens, a été perpétré par les « élus » (en dépassement de légitimité électorale depuis le 23 octobre 2012) nahdhaouis et leurs satellites troïkiens et autres, autrement dit les « élus » du peuple puisqu'il a été démontré, de manière on ne peut plus convaincante, que ces derniers, des démocrates-nés, agissent toujours pour le bien de la nation, de la républicratie et, bien entendu, du peuple. Ceci dit, il importe de préciser que, contrairement aux prévisions, c'est un cambriolage, et non un attentat, qui a eu véritablement lieu. Les caisses de l'Etat ont été littéralement pillés par ceux-là mêmes qui sont censés en être les protecteurs ! Si la casse a pu se produire au grand jour (en fait, plus de trente minutes après minuit), c'est parce qu'elle est, aussi paradoxale que cela puisse paraître, tout à fait légale. Les cambrioleurs se croient être, en vertu de leur légitimité électorale périmée, autorisés à légiférer au nom du peuple tunisien. Ils se sont donc acquittés scrupuleusement, en leurs âmes et consciences, de leur devoir sacré et ont décidé, en vertu des compétences (périmées elles aussi) qui leur sont conférées par le peuple, de pénaliser le contribuable tunisien, coupable de n'avoir pas volé au secours de personnes en danger, en l'occurrence les bataillons de démocrates et droit-de-l'hommistes nahdhaouis qui ont moisi, des décennies durant, dans les geôles de la dictature déchue ! Aux Tunisiens qui n'ont rien compris à cet imbroglio, il conviendrait de préciser que si l'attentat contre R. Gannouchi n'a pas eu lieu, celui de R. Gannouchi, par contre, a, lui, bel et bien eu lieu. Pour expliquer ce mystère, les Tunisiens devraient se rappeler que le leader islamiste, le père spirituel de la démocratie (ou dictature, selon Hammadi Jebali) naissante, a déclaré, à maintes reprises, que sa secte quitterait le gouvernement, mais ne lâcherait jamais le pouvoir tant que son « foyer de la légitimité » continue de carburer peinardement. Les Tunisiens devraient se rappeler que le dernier attentat vient s'ajouter à une liste, déjà très longue, d'autres attentas qu'il serait fastidieux d'énumérer dans cet aperçu. Au fait, si ce dernier attentat, et ceux qui l'ont précédés, ont été possibles, c'est parce que le peuple tunisien a été trahi par l'opposition dite démocratique, coupable, elle, d'avoir accrédité, pour des motifs de bas intérêts personnels, l'attentat du 23 octobre 2012. Depuis, les attentats s'abattent en cascade dans l'intention évidente de démolir l'Etat national et ses acquis. Si l'Attentat – avec grand A – de R. Gannouchi a eu lieu, c'est parce que l'opposition, dite démocratique, lui a offert l'occasion de le faire en acceptant que le prétendu « foyer de la légitimité » survit à la date d'expiration de son mandat. C'est cet Attentat-là précisément, cette erreur fatale, qui est à l'origine de tous les maux qui endeuillent aujourd'hui la Tunisie. Le plus terrible, c'est que, avec la complicité active de cette opposition, dite démocratique, la mascarade continue de plus belle !