L'aboutissement des travaux de l'Assemblée nationale constituante par la finalisation et l'adoption de la Constitution est une première bataille gagnée contre les partisans de la contre-révolution. Mais, le processus de la transition démocratique reste inachevé. Qu'il se poursuive par la mise en marche de la justice transitionnelle et de la réconciliation nationale pour que les Tunisiens tournent définitivement la page du passé. Qu'il se poursuive aussi par la mise en place des fondamentaux de la justice sociale, de la dignité et de la liberté. Une liberté d'expression sans justice sociale et sans épanouissement de toutes les énergies créatrices sociales, économiques et culturelles des Tunisiens reste objectivement une liberté limitée et tronquée. C'est le contenu social, culturel et économique de la démocratie politique qui fera triompher définitivement la légitimité supérieure de la révolution sur les légitimités électorales et les intérêts partisans. Certes, le contenu de la nouvelle Constitution garantit les libertés, l'indépendance des pouvoirs et la décentralisation qui est un vecteur surdéterminant en matière de citoyenneté et de gouvernance. La mise en pratique des 149 articles est de nature à faire valoir contre la démocratie procédure, la démocratie processus dans la vie de tous les jours de façon à ce qu'elle puisse de nouveau être un vecteur historique de transformation de la société. C'est à cette condition qu'il devient possible de relancer maintenant la question de l'Etat de droit puisque ce dernier est appelé à organiser davantage des pratiques d'inclusion politique et de faire de la démocratie à la fois une procédure et un processus. La condition d'une relance de la démocratie sociale et politique est l'ampleur suffisante de son effectivité concrète dans la vie des citoyens. La capacité à penser de façon cohérente la force démocratique de la Constitution au sein de la société est une clé de la crédibilité à venir de tous les partis politiques qui peinent à trouver l'offre politique qui répondrait à l'horizon d'attente des jeunes et des moins jeunes. L'horizon démocratique pourrait n'être pas corseté dans les limites formelles de la simple représentation politique. En s'articulant avec la pratique citoyenne, l'idée démocratique devient, non pas le monopole des représentants et des élus, mais l'affaire de tous les Tunisiens. Car si elle se légitime dans les urnes, la démocratie se nourrit d'échanges, de confrontations, d'expertises et autres mécanismes de réflexion, participation, opposition, consultation, dans lesquels le mouvement associatif joue un rôle souvent essentiel. Démocratie représentative et démocratie participative, loin de s'opposer, ont besoin l'une et de l'autre, cela à tous les niveaux des décisions politiques qui engagent le pays et l'avenir des Tunisiens. Une telle articulation entre sa dimension représentative et sa dimension participative mettrait l'idée démocratique en situation de réarticuler électeurs, structures de représentation, acteurs et processus décisionnels, de combiner le vécu, l'expertise et la responsabilité, construisant ainsi une authentique démocratie délibérative. De la même façon que la société démocratique a besoin de participation, elle a besoin, face aux décideurs légitimes, d'institutions et de mécanismes d'appel, de contre-pouvoirs citoyens et effectifs. Certes contenu de la nouvelle Constitution est important et on ne peut qu'en être fier. Mais sa mise en marche, dans des institutions adéquates et des lois qui régissent la vie des citoyens dans le cadre d'une société démocratique, pluraliste et respectueuse du droit à la différence, est plus que déterminante pour donner un élan réel à la démocratie politique et sociale. Et pour donner corps à un projet sociétal dont les maîtres mots sont « Liberté, Dignité, Justice sociale ». Pour les démocrates de toutes tendances, pour la grande majorité des Tunisiens, pour les forces de la société civile la vigilance est de mise. L'unité des forces réellement démocratiques qui puisent leur référentiel dans les valeurs de la modernité et dans les acquis de la pensée moderne est plus qu'urgente pour s'engager dans le processus électoral et offrir aux Tunisiens et au pays des institutions pérennes et solides et ouvrir les grands chantiers du développement. Cela dit, tous les moyens ne sont pas bons pour arriver au pouvoir et toutes les alliances contre-nature finiront par montrer leur incompatibilité et leur dysfonctionnement.