Avant de publier cet article sur Facebook, j'avais 1195 amis sur ce réseau social. Après sa publication, il ne m'en restera qu'une seule, ma mère, amour filial oblige! Je vais parler clairement, honnêtement et franchement. Je vais vomir ma rage et ma hargne envers la situation actuelle dans laquelle se trouve notre pays. Je ne suis pas politicien, je ne parlerai pas politique parce que je connais mes limites. Je suis un citoyen tunisien qui pleure son pays, je devrais pleurer de joie pour les acquis de la révolution conduite courageusement par notre peuple, pas par une ville, un village, un quartier ou une personne, mais par tout un PEUPLE brave et vaillant qui a osé un jour dire non. Nous avons lutté pendant des années pour abolir le régionalisme, nous avons porté haut et fort le message de l'abolition des préférences régionales au cours de la révolution, la création d'une réelle politique de valorisation de toutes les régions du pays. Alors pourquoi faire porter le flambeau de la révolution par une ville que par une autre? Pourquoi faire porter le mérite de cette révolution ou l'attacher à une date? N'avons-nous pas marre de glorifier les villes, les noms et les dates? Allons-nous sombrer dans le tourbillon des rues du 14 janvier, lycées du 14 janvier, boulevards du 14 janvier, boutiques du 14 janvier pour ne pas citer les noms des personnes relevées au rang de prophètes! Cette date historique pour chacun de nous doit rester gravée dans nos curs et nos mémoires et non pas sur une pierre ou le haut d'un mur, la pierre s'effritera un jour et le mur tombera mais nos âmes et nos curs sont éternels. L'acte de Mohamed Bouazizi, en s'immolant afin de témoigner de son désespoir face à une société déchue et corrompue, ne doit plus être pris pour exemple ni modèle, pire encore, aujourd'hui cet acte est tourné en dérision par d'autres personnes qui, par de macabres blagues, menacent de s'immoler si des malheureux tenteraient de les raisonner afin de ne pas transformer Tunis en foire géante! Oui, Tunis est devenue une gigantesque fête foraine désorganisée, anarchique, embrouillée Je travaille au centre-ville de Tunis, plus exactement à la Place Barcelone, son allure est méconnaissable depuis plusieurs jours. Les marchands ambulants sont plus nombreux que les passants, ils vendent de tout et de rien, s'implantent sur les trottoirs, les chaussées, les intérieurs d'immeubles, au milieu des voitures stationnées d'une manière encore plus anarchique que les cartons et les caisses sur lesquels sont exposées des marchandises douteuses mais utiles pour le commun des citoyens et à des prix défiant toute concurrence, des prix défiant toute imagination! Des ustensiles de cuisine (bols, cuillères, casseroles fête du Mouled oblige), aux petites confiseries multicolores campant devant des grandes surfaces spécialisées dans ces appareils et ingrédients cités à leur grand désarroi, des vêtements aux chaussures, espadrilles étalés devant des boutiques de vêtements et de chaussures qui, malgré les soldes, restent vides et déserts, n'arrivant pas à concurrencer les étals des marchands ambulants, aux parfums, déodorants, produits de maquillage, serviettes en papier, sous-vêtements, produits miracles pour blanchir les dents, des tablettes de coin, des fleurs fluorescentes en plastiques, des cigarettes à moitié prix, du chocolat thaïlandais, des friandises turques, des bonbons jordaniens sans oublier la panoplie des foulards aux mille couleurs et aux cent mille paillettes, les gants et bientôt les niquabs ! Un vrai carnaval au milieu des déchets innombrables et nauséabonds de la veille, on se fait un petit espace, on met le carton et la marchandise et on commence à crier, à beugler, au milieu des klaxons assourdissants des voitures et des conducteurs qui s'impatientent dans un embouteillage digne d'une route pékinoise bondée, au milieu des gros mots, de cette vulgarité et violence verbale qui emplit l'air sale et sali de Tunis L'avenue Habib Bourguiba, jadis belle esplanade pour les amoureux, jadis bordée par des arbustes verts et agréables, est devenue le lieu d'un défilé folklorique de manifestations et de rassemblements frôlant le ridicule! Des élèves et des lycées abandonnant leur banc d'écoles, des étudiants fuyant leurs universités, des fonctionnaires décampant de leurs administrations et bureaux (déjà auparavant déserts!), des chômeurs délogeant les cafés pour se faufiler dans la masse Bref, un vrai cirque défigurant cette belle avenue sous le regard crédule du pauvre Ibn Khaldoun qui se pose la judicieuse question: «Où va la Tunisie?». Des cartons d'ordures s'entassent, des odeurs écurantes remplissent les poumons, des insultes fétides polluent les oreilles, des cris de revendications stériles souillent les valeurs nobles de la révolution. Voilà Tunis! Là où Ben Ali et Seriati ont échoué, le peuple tunisien a réussi avec brio: semer le chaos et entraîner le pays dans un gouffre de désolation et de destruction! On saccage et on pille au nom de la démocratie, on vole et on ravage au nom des libertés, on abandonne les écoles, les lycées et les facultés, on déserte les administrations, les banques et les ministères au nom de cette nouvelle démocratie! Un bien triste sort pour cette révolution, mort-née, dépouillée de ses nobles acquis et de ses hautes valeurs, un triste sort pour ce peuple qui ne voit pas la limite si fine et fragile entre liberté et anarchie. Le tout évidemment baignant dans la sauce de ses interminables rumeurs relayées par les radios nationales et privées, par les chaînes de télévision devenues toutes bizarrement la voix du peuple, par l'incroyable et infatigable «de bouche à oreille» Une cacophonie désastreuse conduisant le pays vers les abîmes du néant! Qui sont ces gens, par qui sont-ils manipulés, où veulent-ils conduire le pays? Qui pourrait les contrôler? La police, non, puisque l'ancien système a réussi à créer une haine et une animosité injustifiées et incomprises entre le peuple et la police. La municipalité, non puisque ses agents sont en grève, une grève interminable. Nous les citoyens désarmés et apeurés, non, au risque de nous faire insulter sinon agresser et balafrer aux regards de tous, impuissants. L'armée, ultime recours, une armée jusque-là respectée et aimée, mais jusqu'à quand? Qui fait quoi dans ce pays du n'importe quoi? Nous vivons une situation désolante et sans issue, une impasse de violence et de mépris alors que nous avons un président fantôme, un gouvernement infirme, un reste de Parlement hystérique, des gouverneurs fuyants et une partie du peuple incontrôlable. Qu'en sera-t-il le 15 mars, quand ce pays sera sans président? Sans gouvernement? Sans Parlement? Sans avenir? La Tunisie d'aujourd'hui est libre et démocrate, mais la Tunisie d'aujourd'hui est fragilisée, fragile et sujette à toutes les manipulations et les tentatives de déstabilisation mettant en péril les enjeux de la révolution. Nous avons perdu des martyrs et du sang d'innocents pour gagner cette liberté, nous avons mis plus d'un quart de siècle pour remporter une victoire sur la dictature, nous mettrons un jour pour tout perdre, dans un bain de sang atroce. Où allons-nous? Vers quel désastre courons-nous? De quelle tragédie sommes-nous tous COMPLICES? Je n'ai aucune réponse, c'est juste mon point de vue, mais ma vue est brouillée par des larmes de tristesse et de chagrin, des larmes de rage et d'incompréhension. Je te pleure mon pays libre et démocrate, je te pleure de tout mon cur. 9 février 2011 Soure: http://lejournaldefacebooktunisie.blogspot.com/