J'ai assisté à une réunion en présence d'une amie à moi, et son client. Elle, mon amie, travaille pour une grande boîte qui vend des lessives. Son client est le gérant d'un point de vente d'une grande enseigne de distribution. Mon amie se tuait à faire comprendre à son client que l'objectif de l'année dernière a été à peine atteint, et qu'il fallait absolument, mais alors absolument mettre les bouchées doubles, pour atteindre celui de cette année . Le client: «Mais que voulez-vous que je fasse Madame, c'est la conjoncture! Les gens n'achètent plus beaucoup, ils calculent tout et donc moi, je suis de plus en plus serré, et pratiquement, je ne vends que quand je fais une PLV mais je ne peux pas passer l'année à faire des PLV, ça n'aura plus d'impact alors!, et pire ça peut décrédibiliser!». Mon amie: «Oui bon je vous comprends, je sais bien, mais nous avons des objectifs de CA, de rotation de stock, etc. C'est comme ça! Et si vous atteignez ces objectifs avec nous, vous aurez vos ristournes et votre cadeau de fin d'année comme d'habitude! Je ne vous oublie pas!». Le client «Ecoutez, je veux bien, mais je ne vois pas ce que je peux faire de plus! Va falloir trouver une astuce pour que les gens salissent plus leurs vêtements et donc achètent plus de lessive on va sponsoriser des académies de foot pour les petits peut-être? C'est pas une bonne idée ça? Je vais vous préparer le plan ». En atteignant les sacro saints objectifs qui lui tombent sur la tête, depuis la direction générale, mon amie est sûre de toucher son salaire plein et de pouvoir rembourser ses crédits. Justement, mon amie est une hyper consommatrice, elle achète tout ce qu'elle voit, sa religion c'est celle du bonheur dans la consommation. Elle a un crédit voiture, un crédit logement, un crédit de consommation (c'était pour les vacances l'été dernier), un autre petit crédit pour le nouveau PC et la nouvelle télévision Plasma HD, LED, etc., et puis quoi encore? Ah oui, un petit dernier crédit, mais vraiment de rien du tout quoi c'était pendant les soldes, et il y avait des supers affaires chez sa marque préférée, et il est hors de question de rater ça! Etonnée de la voir autant créditrice, j'ai voulu savoir comment elle pouvait s'en sortir Elle m'a répondu que raison de plus pour qu'elle travaille dur pour atteindre ces fameux objectifs que sa boîte lui a fixés, pour que les primes soient toujours là et qu'elle puisse donc respirer un peu, parce que le salaire seul ne suffit plus. «Non, mais je veux dire comment ça se fait que ta banque ait pu te donner autant de crédits? N'y a-t-il pas un seuil à ne pas dépasser?» «Non ce n'est pas un problème ça, c'est untelle qui est ma conseillère clientèle dans la banque, tu te rappelles d'elle, elle était avec nous à la fac avec nous?» «Oui, oui je vois, elle est conseillère clientèle dans cette banque Alors c'est bien!» «Bien, moi j'ai choisi cette banque, justement parce qu'elle y était, comme ça les choses sont plus simples». «D'acc ord ! je vois!» «Et puis elle ça l'arrange aussi, parce qu'elle a des objectifs très serrés tu sais ». «Ah oui? Des objectifs de quoi cette fois-ci?» «Mais des objectifs en termes de crédits ma chère elle doit vendre un maximum de crédits, donc voilà, tout le monde est gagnant!» «D'accord, je vois » Ma première amie passe son temps à essayer de faire en sorte que les gens achètent plus de lessive. Une vraie vocation, 12h par jour, souvent samedi dimanche compris, parce qu'elle est en séminaire avec son équipe dans un hôtel payé par sa boîte, où un formateur leur parle de l'identité de la marque, de l'adhésion aux objectifs et de l'esprit d'équipe afin qu'on puisse vendre encore plus de lessive aux gens. Insensé? Non pas tant que ça Untelle, mon autre ancienne amie de fac, passe son temps à vendre des crédits aux gens. Sa vocation à elle c'est de rendre ces gens heureux, en leur permettant d'acheter tout ce que ma première amie et les milliers de personnes comme elles essayent de vendre. Le problème n'est pas de savoir si les gens ont besoin de plus de lessive, mais de vendre plus. Atteindre les objectifs, distribuer les dividendes de fin d'années aux actionnaires, absorber des petites boîtes concurrentes en herbe, monopoliser le marché et contrôler les prix, acheter les actions les plus cotées de la place, mettre encore plus de pression sur ses salariés pour atteindre des objectifs, et même licencier en étant bénéficiaire, parce que la pression de la spéculation boursière nous fait serrer la ceinture, encore et encore et encore Mais les gens doivent être bien heureux parce que tous leurs désirs deviennent réalité. Tout ce qu'ils voient à la pub à la télé, ils peuvent se l'acheter. Leurs placards et leurs étroits appartements sont pleins à craquer de lessives, de jouets, de vêtements, de télés plasma, de draps, de casseroles, de coussins, etc. Elle n'est pas belle la vie?