Avoir confiance en notre jeunesse créative c'est impératif pour construire un modèle économique basé sur l'innovation; innovation devenue la base de tout progrès et développement dans une économie ouverte aux marchés extérieurs. Ce qui est évidemment le cas de notre pays, qui a besoin plus que jamais de ces jeunes compétences, dans cette période cruciale de son histoire. Mais faudrait-il que nos industriels comprennent cette dimension vitale pour notre pays. Dans le secteur textile-habillement, on avait appelé depuis des années à réaliser ce saut qualitatif tant souhaité, celui du passage de la sous-traitance à la co-traitance et au produit fini. Des entreprises innovantes, il en existe mais leur nombre est très limité par rapport à un tissu industriel qui s'est frayé son chemin, depuis déjà la promulgation de la loi 72, sur le marché européen. Elles sont près de 2.100 entreprises qui opèrent dans le secteur actuellement, employant plus de 200 mille personnes. C'est un secteur qui a longtemps bénéficié de l'appui de l'Etat, ayant fait face à des difficultés structurelles. Les entreprises du secteur ont été parmi les premiers à profiter du Programme de mise à niveau industriel. Aujourd'hui, le secteur textile-habillement tunisien a réussi à se positionner au 5ème fournisseur de l'Europe -et 2ème fournisseur de la France- en habillement mais aussi d'être classée 2ème exportateur par tête d'habitant au niveau mondial. Au-delà de la sous-traitance Mais la Tunisie a toujours été perçue comme un hub de la sous-traitance. Plusieurs enseignes internationales se sont installées sur le site Tunisie, motivées qu'elles sont par la proximité et la main-d'uvre qualifiée. Ce qui a confiné une majorité de textilens tunisiens à de simples exécuteurs de modèles prêts conçus. Une réalité qu'on a voulu, ces dernières années, faire évoluer pour faire connaître les compétences tunisiennes en matière d'innovation et de créativité. Il ne s'agit pas non plus de supprimer la sous-traitance qui est une composante très importante de l'activité du secteur, mais de la renforcer par des services et des prestations, de montrer plus de rigueur dans le respect des délais et un professionnalisme dans la maîtrise de la technique et plus d'offensive dans l'approche des marchés extérieurs. Une chose est sûre: le passage à la co-traitance et au produit fini requiert des moyens financiers et humains importants. C'est un investissement colossal pour l'entreprise, exigeant une refonte de son schéma d'investissement. Mais il s'agit aussi d'un processus à forte valeur ajoutée, permettant à l'entreprise d'évoluer et de faire des pas de géant dans l'industrie textile locale et pourquoi pas étrangère, dans une seconde phase. Cet objectif ne pourra se réaliser sans le recours à de jeunes compétences créatives. Le secteur compte plusieurs instituts et centres de formation qui font sortir chaque année des centaines de diplômés. Croire en ces jeunes compétences est indispensable pour effectuer le saut qualitatif dans le secteur. Mais faudrait-il aussi que les profils répondent aux besoins des professionnels. Répondre aux besoins Récemment, une école de formation des métiers de la mode a ouvert ses portes au Centre Technique du Textile. Sa création répondait à des besoins de formation exprimés par les entreprises. Sa spécificité découle du fait qu'elle est créée en partenariat avec Mod'spé Paris, une école de formation bien reconnue au niveau mondial. Son intérêt repose sur le recours à des formateurs français professionnels qui exercent déjà dans les grands groupes du textile-habillement français, et qui forme pour le compte de Mod'spé Paris et de l'Académie Internationale de la Coupe (AICP). TTrois parcours modulaires qualifiants ont été lancés pour inaugurer cette nouvelle école, à savoir le chef de produit, le modéliste industriel et le styliste industriel. Les deux premiers parcours se sont déjà achevés. Treize étudiants sont en train de suivre le troisième parcours. Nous en avons rencontré quelques-uns au salon Texmed 2011. Cette rencontre fortuite nous a permis de cerner certaines problématiques relevées par ces étudiants, dont la majorité a déjà suivi une formation dans les instituts et les centres de formation professionnelle dans le secteur. Pour Mounira Somai, la formation à l'école des métiers de la mode a été très bénéfique. «Les connaissances que nous avons acquises n'ont rien à voir avec celles que nous avions auparavant. On nous a appris à créer et à user de notre intelligibilité et notre curiosité pour innover et donner une valeur ajoutée à nos créations», lance-t-elle. Un manque de confiance Les débuts n'étaient pas faciles pour ces jeunes créateurs. Avec un diplôme à la main, ils espéraient intégrer des entreprises qui leur donneraient l'opportunité de créer et d'innover. Mais la réalité en est tout autre. «Après avoir intégré l'entreprise comme stylise, on m'accordait la tâche de graphiste. J'ai appris qu'il y a un manque de confiance en la compétence des stylistes tunisiens. Les entreprises ont recours, pour la plupart du temps, à des stylistes étrangers. Pour d'autres, on ramène les cahiers de tendance de l'étranger et on demande au styliste de les copier. Ceci nous a fortement intimidés», nous a affirmé le styliste Zied Derouiche, qui a fait trois ans de stylisme dans un institut spécialisé dans le secteur. De son côté, Zoubair Kâanech nous a confie qu'il a suivi cinq années de design textile, moins bénéfique que les quelques mois qu'il a passé à l'école des métiers de la mode. Cette formation pratique lui a permis d'acquérir des notions nouvelles et un esprit nouveau pour développer sa créativité. «Je pense que, dans certaines entreprises, il y a une confusion voire une incompréhension entre le rôle du styliste et celui du modéliste. Ce qui nous rend la tâche bien difficile lorsque nous intégrons le milieu professionnel», estime-t-il. Chercher la reconnaissance Comme Zied, Zoubair souligne qu'il y a un manque de confiance dans les compétences des jeunes créateurs, affirmant qu'il n'arrive pas à trouver la bonne opportunité en Tunisie puisque les diplômes tunisiens ne sont pas assez reconnus. Il a été encouragé à suivre la formation au CETTEX, avec l'espoir que l'obtention d'un diplôme tuniso-français lui permettra une reconnaissance de ses compétences. Zoubair a l'ambition de créer un bureau d'études qui regroupera ces collègues de l'école des métiers de la mode. «J'ai déjà lancé auparavant un bureau qui n'a pas marché. Mais je pense qu'en étant un groupe, où chacun a un point fort à mettre en valeur, ceci est réalisable», espère-t-il. Une ambition qu'il souhaiterait concrétiser avec l'appui du CETTEX. Ces témoignages font émerger aussi des problématiques au sein du système de formation publique dans le secteur. Une formation que ses élèves jugent comme non adaptée aux besoins du moment, et en décalage avec les besoins du marché. Espérons que cette lacune sera rectifiée au plus vite pour permettre au secteur de se repositionner efficacement, et que les industriels reprendront confiance dans les jeunes compétences et donc de leur ouvrir grandes les portes de la créativité.