La fête du 20 mars de cette année est double. Outre l'indépendance, cette date marquante de notre histoire célèbre l'affranchissement du pays de la dictature et de la tyrannie. Dorénavant, chaque 14 janvier, on fêtera désormais et à la fois la révolution populaire et la jeunesse. C'est un symbole fort qui reconnaît implicitement le mérite de la jeune génération dans cette insurrection qui a chassé par des moyens pacifiques et civilisés et sans aucun leader ni parti politique l'un des régimes policier et antidémocratique les plus tenaces. C'est que la principale et profonde cause, qui a conduit à cette révolution entachée malheureusement de ces fâcheuses et désolantes pertes humaines, mis à part les dommages économiques colossaux, a trait à une sévère crise de confiance alimentée par l'absence criante de communication entre gouvernés et gouvernants, par l'approfondissement d'une fracture sociale sur fond de montée de la marginalisation, de la précarité et de l'injustice ainsi que par une mauvaise compréhension des jeunes. Principale richesse de la Tunisie, les jeunes ont démontré, tout au long de cette révolution, un remarquable sens de maturité, d'éveil et de civisme et ont fait montre de sacrifices, d'abnégation et de persévérance pour faire voler en éclat les tabous et démanteler un régime totalitaire à mains nues et par la seule force de protestations pacifiques. Mais si notre jeunesse est instruite et généralement diplômée, ouverte culturellement, en phase avec son temps, maîtrisant les technologies de l'information et sensibilisés aux enjeux du temps présent et futur, elle est souvent en chômage ou sous-employée et donc sans ressources suffisantes pour une vie digne. Aussi, y a-t-il lieu d'accélérer, sans délai, l'intégration des jeunes dans l'économie tunisienne. Certes, il y a eu des initiatives : l'institution d'un revenu minimum d'insertion pour les diplômés, des recrutements dans le secteur public, de nouvelles opportunités de formation et de stages professionnels,…, mais est-ce suffisant ? Cette frange de la société ne doit plus être laissée pour compte des politiques socioéconomiques. Le poids et surtout la qualité de notre jeunesse méritent qu'aussi bien l'Etat que les entités économiques privées accordent à la question de l'emploi des jeunes l'énergie et surtout la détermination nécessaires. Il y a lieu donc de limiter autant que faire se peut, voire de mettre un terme au maintien en activité, dans les secteurs publics et privés, de cadres ou d'agents après l'âge de retraite réglementaire en vigueur, et ce, quel que soit le niveau de leur compétence. Les jeunes n'ont, en effet, rien à envier sur ce plan-là. Quant à l'expérience, l'éveil et la maturité dont ils font preuve sont à même d'améliorer leur conduite des affaires, la pratique aidant. Plus que jamais, il est temps que les postes- clés dans nos entreprises publiques et privées et administrations soient occupés par les jeunes. Il est vrai que le monde s'est accéléré ces vingt dernières années et même les parents peinent à comprendre leurs progénitures, signe que les temps ont vraiment changé et pour relever les enjeux de la mondialisation, notre tissu d'entreprises se doit de composer avec les compétences, surtout jeunes, qui disposent d'énormes ressources de créativité mais souvent, hélas, non encore exploitées. La façon de voir le monde des affaires a beaucoup changé qu'il faudra un coup de jeune pour en apprécier les nouveaux enjeux avec une nouvelle vision, des approches inédites (basées sur les Tic notamment) et de nouvelles pratiques. Aussi bien l'effort entrepreneurial —au travers des jeunes managers—, ou l'encadrement des entreprises et administrations ont un besoin urgent de ce sang neuf, de jeunes qui piaffent d'impatience pour contribuer à l'effort national de création des richesses. Ceci ne peut que favoriser l'émergence de nouvelles idées, l'introduction des innovations de rupture, la modernisation du tissu économique et, à terme, la réalisation d'une mutation moderne sur fond de nouveaux procédés et de nouvelles technologies en phase avec les évolutions en perspective. Mettre un terme au «no future» Nos jeunes ont fortement contribué à bouleverser l'«ordre établi» en prenant de sérieux risques, allant jusqu'à y laisser la vie et tout en permettant au pays de renouer avec des valeurs universelles de dignité et de liberté qu'on croyait perdues à jamais. L'action de cette jeune génération a été facilitée notamment par les réseaux sociaux via le Net. En favorisant de véritables communautés virtuelles, lesdits réseaux, tels Facebook, Twitter ou autres, ont constitué un choc informationnel ultrarapide et fortement mobilisateur, marginalisant du coup les autres moyens d'information. Mais l'action du terrain et la persévérance de ce jeunes, qui sont à saluer, ont également pesé dans la balance et ont fini par avoir raison d'un régime politique qui les a tant marginalisés en dépit des apparences. Si toute la communauté reconnaît aujourd'hui avoir une dette envers cette jeune génération qui a permis la restauration de la dignité et des libertés, cela n'empêche que les jeunes ont également des devoirs à assumer tels le respect des libertés d'autrui — la démocratie ne veut pas dire qu'on doit tout se permettre —, la prise de conscience des enjeux auxquels fait face le pays en cette conjoncture et l'adhésion dans un programme personnel d'apprentissage à vie de manière à saisir toute opportunité de reformation ou de recyclage pour affiner leur employabilité. C'est que si la formation académique, couronnée d'un diplôme universitaire ou autre, est une condition nécessaire pour postuler à un emploi, elle n'est pas cependant suffisante pour garantir un niveau de performance tel qui répond aux attentes des entités productives à la recherche continue d'un niveau de productivité-compétitivité optimal. Parce que la compétence n'est pas prouvée par le diplôme, il faudra veiller à s'impliquer dans des stages professionnels et des actions de formations complémentaires pour parer à l'obsolescence du Savoir, des cursus académiques et des connaissances dans ce monde technologique et scientifique en perpétuelle mutation. Nos jeunes sont invités également à se plier aux exigences du marché de l'emploi, si jamais ils ne trouvent pas le profil recherché ou conforme à la spécialisation acquise inutile; donc de faire la fine bouche dans ce cas. Il faudrait accepter l'opportunité de travail qui se présente, tout en multipliant les expériences, ce qui ne peut qu'être enrichissant. Cette flexibilité et cette mobilité de l'emploi sont, du reste, visibles dans la plupart des pays les plus avancés où le contrat de travail à durée déterminée prédomine afin de faciliter l'adaptation des entreprises économiques à leur environnement. D'ailleurs, une des caractéristiques de la performance en vogue, c'est cette faculté d'adaptation à toutes les situations et des économies et de la force de travail face aux exigences des marchés et de la globalisation. Les jeunes, une fois recrutés, sont appelés également à faire preuve de pugnacité, de persévérance, de sens de l'initiative et du surpassement, en s'investissant totalement dans l'effort de production de leur employeur qu'il soit public ou privé. Il s'agit de rompre avec une certaine attitude, visible avant le 14 janvier 2011, de passivité, voire d'indifférence qui a marqué le comportement au travail de tant de personnes plus soucieuses d'obtenir leurs droits que d'exercer leurs devoirs. Par ailleurs, les jeunes Tunisiens établis à l'étranger ne doivent pas rester «les oubliés de l'étape». Bien au contraire, ils doivent faire l'objet d'une judicieuse approche permettant le rapatriement ou, à défaut, une meilleure contribution de ces cerveaux aux enjeux actuels et à l'effort national du développement économique et social du pays, tâche qui semble avoir été largement facilitée par l'avènement de cette révolte populaire. Donc, une des urgences de l'heure consiste à donner une chance réelle à nos jeunes afin qu'ils puissent montrer tout le potentiel dont ils regorgent et dont ils ont fait preuve en parvenant par des moyens pacifiques à faire chuter en moins d'un mois un règne totalitaire de plus de vingt-trois ans. Les réactions mondiales, qui ont de quoi susciter l'admiration, la sympathie et le soutien et forcer le respect, illustrent l'immensité de la tâche réalisée. Ainsi, on mettra un terme à toute velléité d'immigration clandestine qui a tant occasionné de pertes humaines inadmissibles et on mettra définitivement un terme au «no future». Aujourd'hui et plus que jamais, les jeunes ont un rôle décisif à jouer dans cette nouvelle Tunisie. Aussi mis à part les opportunités d'emploi salarié, il y a lieu de multiplier le soutien financier pour la création de projets et booster ainsi l'établissement pour son propre compte. A ce niveau, outre l'effort étatique, l'on s'attend à une mobilisation conséquente de la part du tissu associatif tunisien et d'organisations non gouvernementales internationales. Pour l'heure, outre l'effort national de recrutement des jeunes, une remise en cause de notre modèle de développement économique et social est vivement recommandée afin de concilier équilibre économique et équilibre démographique et de parer d'une manière drastique au chômage des jeunes qui méritent d'être le ferment essentiel de notre système socioéconomique. Pour que ces jeunes puissent contribuer, à la faveur de leur sens de la créativité et de l'ingéniosité, à l'effort de reconstruction de l'économie tunisienne.