A quelques jours des élections du 23 octobre 2011, le conseil des ministres avait adopté un projet de loi portant création d'une instance permanente de lutte contre la corruption. Ce texte, qui fera date dans l'histoire politique et économique de la Tunisie, constitue le couronnement de la mission de la Commission d'investigation sur la corruption et les malversations commises sous l'ancien régime, présidée par Abdelfattah Amor. Ce texte avait en effet deux volets: le premier, curatif, consistait à identifier tous les cas de corruption passés et à les transmettre à la justice pour qu'elle juge les responsables, et un deuxième, normatif, visant à élaborer un cadre juridique et à mettre en place une organisation destinés à éviter que ce qui s'est passé sous Ben Ali ne puisse pas se répéter à l'avenir. En neuf mois, cette instance a ficelé et transmis à la justice près de 260 dossiers sur un total de plus de 10.000 reçus- de diverses formes de corruption impliquant chacun au moins cinq personnes, parmi elles des responsables, des membres des anciennes familles dominantes et proches. Critiquée, combattue même, depuis le début, la Commission d'investigation sur la corruption et les malversations l'a été paradoxalement sur les deux volets de sa mission. Rarement organisme public aura essuyé autant de critiques et d'attaques et suscité autant d'hostilité que cette instance. Les premiers à avoir attaqué cette instance sont les avocats et les magistrats, au motif qu'elle aurait usurpé les prérogatives de la justice. Les avocats ont enclenché plusieurs procès afin que la justice oblige la Commission à arrêter ses activités. De leur côté, les magistrats ont refusé de collaborer avec la Commission, c'est-à-dire de connaître des affaires à propos desquelles des dossiers avaient pu être constitués. En pleine offensive du monde judiciaire, on a également vu une organisation comme l'Association des Tunisiens Diplômés des Grandes Ecoles (ATUGE) claquer la porte de la Commission elle faisait partie non de cette structure, mais de son «Instance générale»- au motif de «l'absence de conditions favorables à une contribution effective de l'association aux travaux de la Commission et l'absence de transparence qui caractérise le contenu des dossiers instruits». Lazhar Karoui Chebbi, ministre de la Justice dans le gouvernement de transition, a également pris part à cette «guerre» et cela pendant toute la durée de sa mission. Il a ainsi été un de ceux qui, au sein du gouvernement de transition, ont essayé d'empêcher l'adoption du projet de loi portant création d'une Instance permanente de lutte contre la corruption. A défaut, l'ancien bâtonnier a pu imposer le retrait de l'article garantissant l'immunité à ses membres. Heureux, malgré l'annulation de cette disposition qu'ils considèrent essentielle, les membres de l'Instance espèrent pouvoir convaincre le prochain gouvernement, issu de l'Assemblée constituante élue le 23 octobre 2011, de la rétablir afin de garantir à l'Instance permanente une immunité dont elle ne peut pas se passer.