«A Abou Dhabi, évitez de consommer des boissons alcooliques dans la rue et de parler politique, mais vous pouvez vous se la couler douce et ramasser votre pactole sans être autrement inquiété», assure un citoyen du monde sis à Abou Dhabi. Aux Emirats, parler politique risque de vous faire perdre votre nationalité. C'est d'ailleurs ce qui est arrivé à des Emiratis qui avaient soutenu, il y a une année, sur twitter, des Syriens expulsés suite à une manifestation à Abou Dhabi. En fait, pour vivre heureux dans cet Emirat prospère du Golfe persique, il faut être obéissant, discret et travailleur, ne rien voir, ne rien entendre et ne rien dire. Vous pourriez ainsi gagner beaucoup d'argent et rentrer tranquillement chez vous. Car dans la capitale des Emirats arabes unis, riche et très riche, tout est nouveau, tout est beau. Des gratte-ciel abritant aussi bien habitations et bureaux que centres commerciaux, aux grandes avenues très propres et grands parcs bien conçus et brillamment dessinés, en passant par de belles promenades en bord de mer ainsi que des monuments splendides, tels la Mosquée de Cheikh Zahed Al Nahyane ou des hôtels à 10.000 $ la nuitée, tout est admirable... Aux Emirats, tout est tellement parfait, tellement bien ordonné et parfaitement aménagé que ceux qui viennent de vieux continents, comme l'Afrique ou l'Europe, ont un sentiment de froid, car Abou Dhabi, la capitale, est superbe mais sans âme, sans vie, sans cur Pourtant, elle abrite les plus grandes universités comme Cambridge, Oxford, Harvard ou encore la Sorbonne. Les enfants des Emiratis et les étrangers y étudient mais les premiers ne font apparemment pas grand-chose de leurs diplômes: «Ce sont des rentiers, des consommateurs nés. A les voir ainsi, on a du mal à croire que durant les années 60, la population vivait uniquement du commerce des perles et de la pêche et que les tribus nomades passaient leur vie d'un plan d'eau à un autre cherchant des endroits viables, perdant parfois en route leur propre progéniture... Travailler est trop leur demander. Parfois ils contractent des prêts pour créer des projets et ce sont des étrangers -britanniques, américains ou libanais- qui les dirigent. Pour le reste, les Emiratis sont très polis si vous les comparez à d'autres populations des pays du Golfe arabe», témoigne un haut cadre occupant un important poste de responsabilité dans une administration de la place. Dans les grandes avenues d'Abou Dhabi, vous ne verrez pas les véritables habitants du pays, que des étrangers, des travailleurs pour la plupart d'origine asiatique, et ce sont quasiment tous des hommes (pakistanais, indiens, bengalis), qui déambulent nonchalamment ou attendent dans des stations de transport public. «Vous pourriez vous trouver au fin fond du Sahara, il y aurait toujours une employée ou un travailleur étranger pour s'occuper du nettoyage. Le fait est que la situation des femmes n'est pas pour autant des plus brillantes, car rares sont celles qui travaillent après avoir eu leurs diplômes. Nombreuses sont celles délaissées par leurs maris, enfants compris, et ce sont généralement des cousins ou des hommes issus de la même tribu qui vont se marier ailleurs avec des femmes d'origine étrangère. C'est une caisse du gouvernement qui prend ensuite en charge les familles abandonnées en leur octroyant de modestes subventions». Le Cheikh Zayed, «Al Hakim» En réalité, si les Emirats arabes unis figurent parmi les mieux dotés dans le Golfe arabe, ce n'est pas uniquement grâce au pétrole, c'est surtout grâce à la sagesse d'un homme appelé Cheikh Zayed ben Sultan al-Nahyan, surnommé par ses concitoyens «Al Hakim». La légende raconte que lorsque les Britanniques avaient découvert des gisements de pétrole à Abou Dhabi, ils seraient allés demander protection auprès du Cheikh Chakhbut, frère ainé de Cheikh Zayed, à l'époque émir, pour que les tribus ne les attaquent pas lors de leurs prospections. Ils devaient par ailleurs payer un tribut en espèces sonnantes et trébuchantes à Cheikh Chakhbut qui gouvernait l'Emirat depuis 1928. Ce dernier, radin, dissimulait l'argent sous son matelas, refusant de faire profiter les autres des revenus du précieux liquide, maintint l'émirat dans une certaine pauvreté. Les membres de la tribu Al Nahyen se sentant lésés et trahis, seraient allés se plaindre auprès du cadet Zayed. Le deal était simple: «Ou bien vous le convainquez de partager avec nous ou nous ne le reconnaissons plus comme notre Emir, et c'est à vous que prêtons allégeance et si vous refusez, c'est la rébellion assurée». Il paraît que suite à cela, on n'aurait plus entendu parler de Chakhbut : «Il a complètement disparu de la circulation et personne ne sait où il est parti». Le Cheikh Zayed, surnommé le Père des Emirats, a pris les rênes du pays et a non seulement mené Abou Dhabi sur la voie du progrès mais a unifié les différentes principautés qui constituent aujourd'hui les Emirats arabes unis. «Vous savez comment on a arbitré le partage des Emirats? En se réunissant dans un conseil tribal et en posant la question suivante: Vous prêtez allégeance à qui? Aux Al Nahyen ou aux Al Maktoum, et c'est ainsi que les principautés les plus importantes ont été géographiquement dessinées : Dubaï et Abou Dhabi». Abou Dhabi est aujourd'hui un centre politique, industriel, culturel et commercial dans le Golfe persique, mais toute sa richesse n'a pas réussi à lui donner le plus important: une âme, la liberté et la démocratie.