Il existe maintenant en Tunisie, une conscience de plus en plus aigue, de l'état du secteur bancaire et de l'impact probable de toute crise qu'il pourrait connaître, sur le reste de l'économie. Cela n'est pas nouveau et le plan de restructuration et de modernisation de ce secteur en témoigne. Il reste que la restructuration et la modernisation, sont un travail continu. C'est aussi de nouveaux modes de gestion qui doivent accompagner ce plan, tant sur le fond (Essentiellement la question des créances douteuses) , que sur la forme (Notamment la question de l'information et de la transparence des comptes). Comme toujours en fin d'année, et en prévision des résultats de l'année 2004, les analyses des exercices 2003 des banques se suivent et se ressemblent dans leurs différences. Après le niveau officiel, c'est l'analyse des professionnels du marché financier et même celle des observateurs internationaux, tels que le FMI. Moins positifs que le rapport annuel de la BCT, ces derniers mettent de plus en plus l'accent sur la question des créances non rentables ou crédits accrochés qui semblent être le vrai talon d'Achille du système bancaire Tunisien. Maghreb Rating, Tunisie Valeurs et les NPL (1) Le commentaire de l'agence de notation en Tunisie, Maghreb Rating (MR), sur les résultats 2003 des principales banques tunisiennes, commence par mettre l'accent sur «la concurrence restée très vive dans le secteur (bancaire) et la rentabilité modeste, les marges d'intermédiation en baisse et la tendance à la détérioration de la qualité des portefeuilles de crédits ». L'agence s'arrête sur les raisons de la baisse de ces marges et indique que cette marge a «subi en 2003, les effets négatifs conjugués de la baisse des taux directeurs du marché monétaire et l'accroissement des créances improductives». Analysant ensuite les performances générales du système bancaire, l'agence attribut la hausse de 6% du résultat net par la baisse de 13,9% des dotations aux provisions, préférant ainsi le résultat à la solidité des assises des banques. La qualité des actifs en a bien sûr pâti et le ratio des créances classées passe de 20,9% à 23,4%. A cela, les analystes de Maghreb Rating ajoutent la stagnation des commissions, des difficultés à développer de nouvelles activités génératrices de commissions et les revenus des activités de marché qui sont restés stables. L'agence de notation passe aussi en revue les situations de quelques institutions bancaires et notamment la STB, la BNA, la BH, la BIAT et l'AMEN BANK. On apprend ainsi que le ratio des créances classées chez la STB est élevé (41,1%), pour un faible taux de couverture (43,6%) et un ratio de solvabilité qui «pourrait en réalité être surévalué». Pour la banque nationale agricole, MR estime que ses «résultats devraient continuer d'être contraints par la nécessité d'importantes dotation aux provisions». Pour la BH, on apprend qu'elle enregistre une hausse des créances improductives et que la banque a une insuffisance de provision de 8,6 MDT.
Il ressort des publications que les provisions constituées au cours du premier semestre 2004 sont restées globalement au même niveau que l'année dernière (90 MDT environ) malgré l'évidence d'un stock important de NPL (non profitable loans) ou crédits non performants ou encore : crédits accrochés) non approvisionnés. Il est clair que les provisions semestrielles sont moins significatives dans la mesure où la «stratégie» de chaque établissement est arrêtée en fin d'année dans cette matière délicate. Il n'en demeure pas moins, selon ce que rapporte l'équipe d'analystes de Tunisie Valeurs, que la plupart des banques ont enregistré une dégradation de leur taux de mauvaises créances et le taux de couverture de ces créances par des provisions reste insuffisant. La résorption de ces faiblesses constituera le chantier majeur du secteur pour les années à venir. Voila la situation affichée des crédits non performants (NPL), « ne situation effective plus obérée» estime Tunisie Valeurs.
Taux de NPL Taux de couverture 2002 2003 2002 2003 Amen Bank 21% 23% 40% 45% ATB 18% 20% 63% 69% BH 13% 17% 32% 29% BIAT 17% 17% 37% 40% BNA nd 24% nd 70% BS 31% 29% 24% 20% BT 9% 8% 82% 83% STB 35% 38% nd 46% UBCI 19% 20% 67% 69% UIB 34% 38% 40% 36% Taux de NPL = NPL / Créances clientèle brutes - Taux de couverture = (Provisions+Agios réservés) / NPL Source : Tunisie Valeurs Au-delà de la situation affichée, il est important de constater que les banques tunisiennes sont loin des standards internationaux. Une comparaison avec les pays européens et mêmes arabes, montre aussi le même écart. Pour une moyenne tunisienne de taux de NPL de 25%, la plus grande moyenne des pays européens est italienne et elle est de 8 %. Le Maroc ne dépasse pas les 18% et le secteur bancaire égyptien ne dépasse pas les 20%. Le taux de couverture tunisien est, en face, le plus bas. Alors qu'il est de 178% et de 150% respectivement en Espagne et au Portugal, il est de 81% en France et de 60% au Maroc. La moyenne tunisienne est de 47% seulement.
Quelques commissaires aux comptes ont porté à la connaissance du marché que certaines banques ont des insuffisances de provisions très significatives, aussi bien chez les banques publiques que privées. L'effort affiché au niveau des provisions a même enregistré, toujours selon Tunisie Valeurs, une baisse de 18% en 2003 avec 167 mTnd affectés aux créances. Toutefois, s'ajoute à ces montants visibles dans le compte de résultat des banques d'importants transferts de réserves en provisions, phénomène déjà observé les années précédentes et qui s'est amplifié en 2003. Au total, la charge de provisions pour l'année , est de 212 mTnd, et par conséquent en légère progression par rapport à 2002 (+1,1%). Ce qu'en pense le FMI Avant cela, le FMI qui fait un rapport annuel sur l'état de l'économie tunisienne, avait, malgré son optimisme quand aux perspectives du développement en Tunisie, presque versé dans les mêmes conclusions que les analystes locaux. Dans son rapport de juin 2004, le FMI estimait déjà que «les indicateurs financiers du système bancaire avaient continué à se détériorer en 2003». Comme eux, il mettait l'accent sur la hausse des actifs classés et la baisse du taux de provisionnement, «bien qu'en partie dû à des radiations et transferts de créances à des sociétés de recouvrement» explique-t-il en ajoutant que «le ratio de couverture du risque du système a aussi baissé, et trois banques ne satisfont pas le ratio minimum». Ceci rend encore plus urgente la nécessité de renforcer davantage la supervision bancaire et la position financière des banques afin que ces dernières puissent faire face à des chocs éventuels. Faisant ensuite une lecture du poids des créances accrochées et de leur influence sur les banques et les entreprises, le FMI a évalué le poids des créances improductives non provisionnées entre 100 et 200 points de base sur la marge bancaire. «Ce poids augmente le coût d'intermédiation pour les banques faibles, les met dans une position de concurrence défavorable, et peut les inciter à octroyer des crédits plus risqués qui pourraient aggraver leur position financière» expliquent les spécialistes du FMI. En outre, cette fragilité pourrait constituer une contrainte à la poursuite de la réforme du cadre de la politique monétaire qui va nécessiter une plus grande flexibilité des taux d'intérêts. Au-delà de son impact sur la santé des banques donc, le poids des créances improductives charge les entreprises d'un surcroît de coût au niveau du financement et a un impact aussi bien sur sa productivité que sur sa compétitivité ! Dans son rapport, la mission du FMI donne aussi quelques «recettes» pour juguler cette question. Il préconise ainsi «un recours moins important aux garanties dans la politique de provisionnement afin de renforcer d'avantage la culture du crédit au sein des banques». Il propose même à l'autorité de contrôle d'«user de son pouvoir d'exiger une augmentation de capital aux banques sous capitalisées et/ou affichant des insuffisances de provisions et de permettre ainsi de responsabiliser les actionnaires des banques face à la nécessité d'assainir le système bancaire ».