«J'aimerais m'attacher à la sphère financière et banquière, point de départ de la crise que nous venons de connaître à cause des subprimes ; après la chute du Mur de Berlin et du communisme, nous sommes tombés dans ce que beaucoup appellent une véritable religion de la mondialisation, une religion diabolique», a dénoncé Jean-Paul Carteron, président de Crans-Montana forum et ambassadeur de l'ISESCO, intervenant lors du symposium. Il a parlé du snobisme à devenir des 'mondialisateurs'', et partisans non pas d'une politique économique équilibrée mais d'un mouvement de libéralisation effrénée que rien ne pouvait plus arrêter. «La question n'est pas de remettre en cause les principes de l'économie de marché basés sur la concurrence et le libre-échange. Il s'agirait plutôt de mettre en place une économie mondiale libérale et organisée de manière à permettre à tous les peuples de profiter des fruits de la croissance aussi équitablement que possible», a, pour sa part, assuré Mohamed Nouri Jouini, ministre du Développement et de la Coopération internationale, lors du symposium. Il a appelé à ce que l'on étudie de plus prés les défaillances observées au niveau des politiques et stratégies monétaires à l'échelle internationale et de la réorganisation des marchés financiers qui ont souffert de l'effondrement de grandes institutions internationales réputées et anciennes. Pour ce, a précisé M.Jouini, il faut d'ores et déjà commencer à mettre en place des mécanismes pour une répartition plus juste des richesses d'autant plus que le monde est devenu plus prospère et que les avancées techniques sont aujourd'hui plus perceptibles. Le secteur public perd pied Il est indiscutable, comme l'assure Paul Carteron, que les politiques nationales et internationales ont souffert pendant les deux dernières décennies d'une dérégulation effrénée. En Europe comme aux Etats-Unis, on s'est battu contre tout ce qui pouvait être une entrave à la libre circulation des biens et au libre-échange, et ouvert le monde à la spéculation et à des pratiques douteuses émanant des quelques acteurs opérant sur les marchés financier et monétaire, d'où l'énorme fossé qui s'est creusé entre le marché financier et la sphère économique réelle. Le secteur public a perdu pied devant les avancées réalisées par le secteur privé, d'où la déshumanisation de l'économie et de la société. Un exemple édifiant a été cité par l'ambassadeur de l'ISESCO : «Je me suis trouvé dans une rue de Chicago avec quelqu'un qui avait fait un arrêt cardiaque sur le trottoir, l'ambulance était là, mais ne le secourait pas, il a fallu que je donne ma carte de crédit, lui, n'en avait pas, pour qu'il soit sauvé. C'est à cela qu'aboutit la privatisation débridée et la dérégulation totale», a-t-il révélé, scandalisé. D'où la nécessité aujourd'hui de repenser nos modèles socioéconomiques, pour garantir à tous les peuples du monde, qu'ils soient issus des pays riches ou pauvres, sécurité, bien-être et surtout dignité. Une honte pour l'humanité «Le président de la République a résumé 20 ans de mondialisation dans son discours à l'ouverture du symposium, a déclaré Hédi Djilani, le patron des Patrons. Il a précisé que la mondialisation reste toujours aussi importante et positive pour le monde mais qu'elle s'est faite très souvent et dans certains cas aux dépens de quelques pays pauvres qui ne s'y sont pas retrouvés, et qui n'avaient pas les moyens de s'y préparer. «Pour que la mondialisation reste avantageuse, a-t-il ajouté, il faut qu'il y ait une approche nouvelle moins égoïste et plus humaine ; il faut aussi prendre en compte les limites de pays fragilisés par leur pauvreté et leurs moyens réduits, des pays qui ne peuvent même pas donner leurs avis sur la mondialisation. Le Fonds mondial de solidarité proposé par le président Ben Ali, explique M. Djilani, peut représenter un outil efficace pour aider ces pays. C'est en quelque sorte du mécénat économique à l'échelle internationale pour porter secours aux pays pauvres sous forme de dons et d'appuis à différents niveaux pour qu'ils puissent atteindre un niveau respectable de développement». Mais il y a également le souci sécuritaire lié fondamentalement à l'équité économique, car là où il existe des poches de pauvreté, il y a risque de dérapages de toutes sortes, allant de la hausse de la criminalité au développement des courants extrémistes qui se nourrissent du mécontentement et de la colère des pauvres gens. D'autre part, il faut que les règles de jeu du commerce international changent. Les garde-fous, les nouvelles règles de gestion des marchés monétaires mondiaux et de la régulation de l'économie planétaire devraient assurer plus de justice sur terre. «Il faut que les règles de l'Organisation mondiale du commerce qui prévoient des clauses de sauvegarde concernant le non respect des êtres humains soient appliquées. Certains pays qui sont de grands success story's à l'échelle internationale le sont parce qu'ils ont fait fi de tout respect et de dignité humaine», explique le président de l'UTICA. Leur système organisationnel entreprenarial ne comprend aucune règlementation impliquant les droits élémentaires des travailleurs, fixant le nombre d'heures, les congés, les salaires Comment ne pas respecter l'être humain au 21ème siècle ?, s'étonne-t-il ? Il est inconcevable que l'Homme soit dans certains pays réduit à une machine ou à un appareil de production. Quelles menaces représentent ces pays sur le tissu entrepreneurial d'un pays comme le nôtre ? «L'entrepreneur aura moins de problème pour lutter à armes égales avec son concurrent à l'échelle planétaire si nous sommes tous soumis aux mêmes règles. Comment voulez-vous qu'un Tunisien arrive à se battre sur le marché européen qui est notre marché traditionnel lorsqu'il est confronté à une concurrence pointue et forte de la part de pays qui ne sont soumis à aucune règle à caractère social ? Dans notre pays, nous n'oserons jamais toucher aux acquis sociaux des travailleurs. Il faut que les exportations de ces pays soient codifiées, eux qui s'enrichissent de plus en plus aux dépens des autres», précise le président de l'UTICA, les réserves mondiales ne se trouvent plus aux Etats-Unis ou en Europe mais plutôt dans ces nouveaux pays qui portent en eux la croissance mondiale et vont devenir les banquiers du monde en appauvrissant ceux qui respectent les droits de l'homme. Il faut que l'Europe et les USA, qui sont forts pour établir des quotas, le fassent aussi vite que possible pour garantir les équilibres géoéconomiques mondiaux et préserver les droits sociaux élémentaires des travailleurs partout dans le monde, assure M. Djilani.