Si vous vous attendiez à ce qu'on parle de l'épisode Fakhfakh, Fakhfakh est mort politiquement, du moins pour de très longues années. Dommage. Il était prometteur. Jeune, démocrate, progressiste, portant une certaine vision de la Tunisie. Sa maladresse, son arrogance et une catastrophique communication autour du scandale ont eu raison de lui. Bien évidemment, Ennahdha s'était juré depuis le début d'avoir sa tête. Cela étant dit, Fakhfakh lui a donné le bâton pour se faire battre. Ce fut le plus court mandat d'un chef du gouvernement post 2011. Le sujet est clos. On ne tire pas sur une ambulance. On passe à l'après. La Tunisie a perdu et perd encore un temps précieux, et avec, ce qu'il lui reste de crédibilité. Cet après est assez angoissant. La démission du chef du gouvernement ne signifie en aucun cas la fin de la crise politique. Une crise prenant racine dans un système politique et électoral qui ont largement démontré leur limite. Les résultats des dernières élections ont approfondi cette crise au niveau des institutions, en premier le Parlement. L'émiettement du paysage parlementaire et les conflits insolubles sont au cœur du problème. Mettre en place un nouveau gouvernement dans les conditions actuelles tout en gageant à ce qu'il tienne jusqu'à la fin du mandat, n'est pas une sinécure. Le chef de l'Etat Kaïs Saïed a maintenant neuf jours pour désigner un remplaçant et il est tenu de par la constitution d'engager des consultations avec les partis, les coalitions et les blocs parlementaires, ceux-là même qui se chamaillent à n'en plus finir, ceux-là même qui font partie intégrante du problème.
Peut-on encore qualifier notre Parlement de cirque ? Excusez le terme, un cirque est un lieu où l'on regarde un spectacle amusant, dans le cas d'espèce ça s'assimile plutôt à une porcherie. Les Nahdhaouis et leur pare-chocs Al Karama se déchainent, tous les députés, à quelques exceptions près, se déchainent sous le regard ahuri du peuple qui les a élus. Les scènes hallucinantes dont on a été témoins hier sous l'hémicycle donnent la nausée. Pas seulement cette nausée ontologique, existentialiste, mais tout autant celle de la réaction physique incontrôlée. Il ne faudrait pas cependant se leurrer, le show et les bagarres sans fin font les affaires des extrêmes. Ce qu'entreprend Abir Moussi depuis le début du mandat est du pain béni pour les Ennahdha et Al Karama, la victimisation, ils y excellent. Il faut dire aussi que dans le camp Moussi, de victimisation, on ne s'en prive pas non plus. L'irrespect des institutions, le banditisme parlementaire, ce n'est qu'un moyen parmi tant d'autres de saper le tant soi peu d'acquis démocratiques. C'est à en dégouter n'importe qui de l'exercice démocratique. C'est à en biaiser la perception chez les masses et préparer le terrain à une forme de pouvoir totalitaire. Un pouvoir qui surfera sur le postulat que la démocratie n'aurait mené à rien, que ce n'est pas pour nous, peuple sous-développé qui ne peut être gouverné que par un despote en puissance. D'avenir, comme on l'aura rêvé, il n'existera point car, foncièrement, le fascisme n'institue pas seulement un nouvel ordre social, c'est le futur qui refuse de naître.
Rien ne justifie les agissements d'un Habib Khedher qui malmène des députés sit-inneurs. Rien ne justifie un Seif Eddine Makhlouf, hurlant à la peine de mort contre une collègue, perché sur le pupitre de la présidence du Parlement. Mais soyons cohérents. Si vous êtes des inconditionnels de Abir Moussi, si vous faites partie des groupies hystériques qui insultent quiconque ose critiquer, même gentiment, la dame, passez votre chemin. Ce qui suivra ne va pas vous plaire. Si tu ne cautionnes pas les agissements de Abir Moussi et Cie., c'est que tu es un pro islamo-fasciste, un anti-bourguibien, un mercenaire à la solde de l'axe du mal, un traitre à la nation. Bel exemple de pensée démocratique qui ne diffère en rien des méthodes de l'autre camp. Parmi le fan club on retrouve des fascistes décomplexés. Des nostalgiques de la dictature pseudo-laïque qui n'a eu d'autre résultat que d'abrutir tout un peuple, qui n'a eu pour conséquence que d'alimenter les extrêmes. Populiste et faussement moderniste, pour ne pas dire rétrograde, voilà ce qu'est en réalité le parti en haut des sondages. Il s'en cache bien derrière sa croisade anti-islamiste. Sauf qu'en mettant sur pause, rien qu'une minute, notre inimitié pour les islamistes, le tableau se précise. L'expression est bateau mais les extrêmes se ressemblent, se sont les deux faces d'une même pièce.
Le plus aberrant est que de vrais démocrates, des progressistes convaincus s'y laissent entrainer. Par désespoir, par peur, par désarroi, ils se raccrochent à tout ce qui pourrait anéantir le danger que représentent les islamistes. Hélas, en plein déni, arborant des œillères, ils se bornent à ignorer le pendant de ce danger qu'ils tentent de fuir. Certains, dans un soubresaut de lucidité, diraient que nous sommes pris au piège, que tant qu'à faire il fallait choisir un camp. Et c'est à l'insu de leurs convictions profondes qu'ils rejoignent le fan club des fascistes pour former une sorte de police de la pensée traquant toute voix dissonante, jetant l'opprobre sur quiconque osera faire montre d'un peu de lucidité. Comprenons que les méthodes employées aujourd'hui par les PDL, seront utilisées à l'avenir par d'autres parlementaires. Accepter cela aujourd'hui, c'est aussi accepter que demain les Karama ou autres fassent pareil. Tout ce chaos n'augure pas de fin heureuse pour le pays.