L'Association des magistrats tunisiens (AMT) a dénoncé, dans un communiqué publié jeudi 20 août 2020, plusieurs dépassements dans le récent mouvement des magistrats annoncé le 12 août. Tout d'abord, l'AMT a condamné les fuites des délibérations du conseil de l'ordre judiciaire censées se tenir à huis clos afin de le prémunir de toute pression extérieure. « Dans un dangereux précédent, les médias ont été orientés pour imposer la politique du fait accompli au profit des orientations de certains membres du conseil. Une situation qui interpelle quant à l'indépendance des décisions du conseil ». L'AMT relève précisément la fuite, la veille de l'annonce du mouvement, de la mutation de Béchir Akremi, procureur de la République près du Tribunal de première instance de Tunis. Tout en critiquant la démarche du conseil, l'AMT assure que des informations confirmées démontrent que le conseil n'a pas pris en compte les critères et les procédures en vigueur dans sa décision de muter le juge.
L'Association des magistrats relève ensuite le manque de transparence du conseil de l'ordre judiciaire qui n'a pas daigné, jusqu'à cette date, publier un rapport expliquant ses démarches et leur conformité avec les normes, « ce qui démontre son incapacité à faire preuve d'une vision permettant le bon fonctionnement de la justice ». Le communiqué évoque le sentiment d'injustice ressenti par la majorité des juges concernés par les demandes sur la base de l'ancienneté, affirmant dans ce contexte que le conseil n'a pas rendu publics les grilles d'ancienneté « chose qui empêche les recours et l'évaluation de la conformité du mouvement ».
Pour l'Association des magistrats, en plus des dépassements au niveau de la forme, d'innombrables violations ont été commises à plusieurs niveaux, notamment dans l'attribution des missions des juges. Ainsi, l'AMT relève, entre autres, que le conseil n'a pas annoncé au préalable la liste des postes vacants. Une situation qui a permis à certains juges de monter en grade au détriment de leurs collègues qui ont plus d'ancienneté. Par ailleurs, l'AMT accuse les membres du conseil de l'ordre judiciaire de favoritisme les uns envers les autres, notamment en accordant des avantages à certains de leurs conjoints juges, qualifiant ces actions de conflit d'intérêts. L'Association des magistrats a d'autre part assuré que plusieurs juges ont été mutés dans des tribunaux éloignés de leur lieu de résidence sans qu'ils n'en soient informés dont par exemple le président du tribunal de première instance du Kef et le président du tribunal de première instance de Kasserine Mohamed Khlifi « qui a été abusivement muté du temps de la dictature à cause de son combat pour l'indépendance de la magistrature ».
« D'autres juges des Tribunaux de première instance de Tunis, Médenine ou Sousse, se sont vu départir de leur fonction en dehors du cadre des procédures disciplinaires. D'autres juges encore se sont vu refuser leur mutation justifiée alors que d'autres l'ont été sur la base du favoritisme », affirme l'association.
Le mouvement dans le corps des magistrats était très attendu, à un moment où le débat sur l'indépendance de la justice en Tunisie est au cœur de l'actualité.