Semaine chaotique de décembre. Classique diriez-vous. Elle a commencé par le voyage du chef du gouvernement à Paris où il nous a foutu la honte. Se présenter devant son homologue français les mains vides et sans avoir préparé ses dossiers (même pas ceux inscrits à l'ordre du jour), donner une interview à la chaîne du Quai d'Orsay (France 24 pour les intimes) où il déclare que la migration clandestine est du terrorisme, c'est la honte, il n'y a pas d'autre mot pour qualifier ce voyage. La semaine s'est achevée sur une déroute avec le limogeage du ministre des Affaires locales et de l'Environnement, qui fut arrêté dimanche en fin de journée. En Tunisie, pays prétendu démocratique, la présidence du gouvernement ne ressent pas le besoin de dire pourquoi on limoge un ministre. On ne ressent pas non plus le besoin de communiquer sur son arrestation, ni les raisons de cette arrestation. Ailleurs, sous d'autres cieux où l'on respecte ses citoyens, ce genre d'infos fait la une de tous les médias. Chez nous, le citoyen est méprisé, son droit à l'information est bafoué ! Voilà ce qui se passe quand on n'est pas imbibé de culture démocratique et politique. Ailleurs, à Carthage, le président de la République continue à naviguer à vue en solitaire. Lui, il a zappé son déplacement à Sidi Bouzid le 17 décembre parce que son emploi du temps serait chargé. Qu'y avait-il dans cet emploi du temps ? Mystère et boule de gomme. A la présidence, on ne ressent pas le besoin de publier l'agenda du chef de l'Etat comme cela est le cas dans tous les pays du monde qui respectent leurs citoyens. Le comportement de la Kasbah et de Carthage et leur mépris des citoyens est à inscrire dans les annales. Ils parlent du matin au soir de démocratie, mais omettent de se comporter comme des démocrates. Ils ignorent que la démocratie est un comportement de tous les jours et non des paroles tous les jours.
Dans cette ambiance hivernale froide, deux informations d'ordre politique sont passées sous silence. La création d'une nouvelle échoppe politique fondée par Mabrouk Kourchid pour rassembler les nationalistes arabes ; et l'élection de Fadhel Abdelkefi à la tête du parti Afek Tounes. L'un et l'autre ont-ils un poids ? S'agissant des nationalistes arabes et si l'on se réfère au nombre d'électeurs de cette « obédience » aux dernières législatives, il tourne autour de 150.000 personnes. Leur mouvement phare, Achaâb, a récolté près de 130.000 voix représentant 4,53% de l'électorat et quinze sièges au Parlement. S'agissant de Afek Tounes, le nombre d'électeurs de ce parti n'atteint pas les 45.000 voix représentant 1,53% de l'électorat et deux sièges au Parlement. Peut-on dès lors parler d'un poids significatif de ce parti sur la scène politique ? En ce qui concerne Mabrouk Kourchid et ses aficionados, la réponse est claire : l'ensemble des électeurs nationalistes arabes utopiques ne saurait dépasser les 150.000 personnes. Leur vision d'un monde arabe fédéré, uni, solidaire est anachronique. Les Tunisiens, dans leur majorité, se sentent Tunisiens, ils ne se sentent pas arabes. Ils se sentent arabes aussi, pas arabes seulement. En ce qui concerne Afek Tounes, c'est une autre paire de manches. Le parti représente la droite libérale, la Tunisie intellectuelle, la Tunisie moderniste, la Tunisie progressiste, la Tunisie qui regarde vers l'avenir sans complexe, la Tunisie qui a tourné la page du passé. Le souci d'Afek Tounes n'est pas son idéologie, le souci est le nombre d'échoppes qui représentent les mêmes idéologies ou une partie de ces idéologies. A la question, quelle est la différence entre ce que propose Afek Tounes et ce que proposent Machrouû, Al Badil, Beni Watani, voire même Attayar, Qalb Tounes ou Nidaa, peu de gens sont capables de répondre avec exactitude. La vérité est qu'il y a très peu de différences. La vérité est que toutes ces échoppes servent l'égo démesuré de leurs fondateurs. La vérité est que toutes piétinent les plate-bandes les unes les autres. L'élection de Fadhel Abdelkefi peut signifier un changement radical dans la mesure où le monsieur est un ami commun à tous ces partis. Il est bon de rappeler, dans ce sens, que M. Abdelkefi était le nom le plus cité pour devenir chef du gouvernement. Si Kaïs Saïed a suivi les recommandations des partis, la Tunisie n'en serait pas là.
Non retenu à la Kasbah, élu à Afek, Fadhel Abdelkefi peut réaliser depuis l'extérieur des choses pour s'imposer sur la scène politique nationale. Une seule condition pour cela, il doit être fédérateur (et il l'est) et les autres partis doivent se débarrasser de leurs égos (ce qui n'est pas gagné). Parlons chiffres, Fadhel Abdelkefi peut réunir autour de lui outre Afek (43.892 voix), Qalb Tounes (416.000 voix), Tahya Tounes (116.000 voix), Aich Tounsi (46.400 voix), Al Badil (46.000 voix), Nidaa Tounes (43.000 voix) et Machroû (40.800 voix). Soit un total de 752.000 voix. Soyons optimistes, soyons rêveurs, soyons utopiques, Fadhel Abdelkefi peut également convaincre pour se réunir autour de lui les gars d'Attayar (183.000 voix) et du PDL (189.000 voix), soit un total de 1.125.000 voix à la louche. Continuons dans l'utopisme et rajoutons les voix de la gauche représentées par le Front populaire et ses 32.000 voix. En face, il y a les islamistes représentés par Ennahdha (561.000 voix) et Al Karama (169.000 voix), soit 730.000 voix. En regroupant sous une seule bannière toutes les voix anti-islamistes, Fadhel Abdelkefi pourra, sans nul doute aucun, rééquilibrer le paysage politique tunisien.
Tout cela est théorique, tout cela est proche de l'irréalisme, tout cela est utopique, je sais. C'est pourtant le seul moyen de faire face aux islamistes qui font front commun depuis 2011. La Tunisie vit de soubresaut en soubresaut depuis dix ans et la seule et unique ligne de démarcation a toujours été islamiste et anti-islamiste. Les tentatives de mettre main dans la main avec les islamistes (Nidaa en 2014 puis Qalb Tounes en 2019) se sont toutes soldées par des échecs. Le nom de Fadhel Abdelkefi a été celui le plus cité par les partis pour devenir chef du gouvernement. Ces mêmes partis peuvent l'élire comme étant leur porte-drapeau pour les représenter sous une seule bannière dans la période à venir. Une seule et unique condition, mettre les égos dans la poche. C'est utopique, je sais… Hélas. Mais, pour l'Histoire, il faut que ce soit dit !