On marche vraiment sur la tête. Tout ce qui s'est passé ces derniers jours a de quoi vous faire perdre foi en l'avenir et, au passage, perdre complètement la tête. Dans ce petit pays - plein d'espoir et de promesses pour les générations futures - des jeunes écopent de 30 ans de prison pour avoir fumé un joint dans un lieu public. La supposée tentative d'empoisonnement du chef de l'Etat ressemble plus à un épisode de X Files qu'à une menace sécuritaire de la plus grande gravité. Le Parlement a des allures de cirque dans lequel les députés s'insultent, s'agressent physiquement et utilisent des mégaphones pour se faire entendre. Notre Constitution (la meilleure au monde) est un champ de mines truffé de pièges et la pandémie bat son plein au cœur d'une crise économique dont on ne voit pas le bout.
Pour nous, la vérité est vraiment ailleurs. Mais elle ne l'est certainement pas dans les tiroirs du Parlement. Là où les projets de lois les plus urgentes, s'entassent, croupissent et prennent la poussière dans l'espoir de jours meilleurs. Au diable la cour constitutionnelle en pleine crise politique ; le projet de loi pour la responsabilité médicale en pleine pandémie et les nombreuses révisions de lois liberticides et inconstitutionnelles qui doivent être faites…dans l'urgence. Que de lois - de nécessité capitale pour les citoyens - qui attendent patiemment que les députés finissent de se chamailler pour faire, enfin, le travail pour lequel ils ont été élus et pour lequel ils sont payés.
Au Kef, trois jeunes ont écopé, chacun, d'une peine de prison de 30 ans. Un excès de zèle d'un juge qui a décidé de recourir à la peine maximale sans penser une seconde aux conséquences réelles d'un jugement complètement déconnecté de la réalité. S'agit-il de la première fois que des citoyens tunisiens fument des joints de cannabis dans un lieu public ? Certainement pas. Pourquoi donc ce verdict ? Le juge a tout simplement décidé de juger chaque acte séparément et d'y infliger la peine maximale. Les jeunes gens ont donc été condamnés pour, séparément, détention, consommation et utilisation de stupéfiants dans un lieu public. Trois charges lourdes pour un simple joint.
Dans un pays dans lequel les jeunes suffoquent, les drogues récréatives et douces restent un exutoire très répandu. La Tunisie compte plus de trois millions de consommateurs de cannabis. Un chiffre qui ne cesse d'augmenter chaque année touchant majoritairement la population des 18-30 ans. La zatla représente à elle-seule 90% de consommation de drogue dans le pays et chaque année, plus de 1000 tonnes entrent en Tunisie. Au lieu de miser sur la sensibilisation et la réglementation d'un marché livré à lui-même, les autorités préfèrent le moyen, plus simple et plus rapide, de la répression en s'appuyant sur une loi qui date des années 50.
Le combat pour réviser cette liberticide loi 52, née dans un contexte politique très particulier, a été souvent marginalisé et critiqué comme étant une « énième tentative de dépraver une société fondamentalement conservatrice ». Mais le combat pour abolir l'article 52 est un combat social et représente une question de conscience collective.
Non, décriminaliser le cannabis ne revient pas à encourager les citoyens à devenir des junkies. Non, supprimer les peines de prison ne revient pas à pousser les jeunes vers le fléau des drogues dures. Non, entasser des jeunes dans des prisons et compromettre, pour toujours, leur avenir n'est pas le meilleur moyen de les protéger des dérives de la drogue.
Au lieu de s'attaquer à des fléaux réels, comme les drogues dures et synthétiques, le législateur perd son énergie en infligeant les peines les plus lourdes pour un simple joint de cannabis. Une substance douce et récréative et plus répandue que ce qu'on croit. L'hypocrisie sociale et la paresse politique font que nous appliquons les peines les plus dures contre une substance sans aucune information, ni sensibilisation. Ces peines, d'un autre temps, n'ont pas pour vocation de dissuader les jeunes ou de les protéger mais tout simplement de les briser.
Alors que les organisations et les défenseurs des libertés s'époumonnent depuis des années en appelant à réviser cette horrible loi 52, il aura fallu une peine ridicule et un véritable tapage médiatique pour qu'un projet de loi soit, de nouveau, déposé à l'ARP. Reste à espérer qu'il connaitra pas le même sort que celui de 2016....
Février 2021, au cœur d'une reconstruction démocratique, il est plus que jamais temps de se poser des questions sur la stratégie que l'Etat a pour ses citoyens et ses jeunes. Chaque année, la rupture entre le peuple et ses gouvernants se fait de plus en plus profonde. Elle l'est encore plus concernant sa jeunesse et anéantit, petit à petit, les maigres espoirs qu'ils nourrissaient d'être enfin compris et acceptés chez eux…