«Faire passer une nouvelle loi sans écouter la société civile est contraire à l'esprit de la Constitution de 2014!», s'insurge Ghazi Mrabet, activiste et président de l'association «Assajine 52» Jamais depuis sa promulgation en 1992, «la Loi 52» n'a autant alimentée la controverse et divisé l'opinion publique. La dépénalisation de la consommation du cannabis attise les réactions au sein de l'Assemblée des représentants du peuple, même après le rejet par cette dernière du projet de loi relative à la consommation des stupéfiants. Face à la détresse d'une frange importante de la jeunesse tunisienne, majoritairement favorable à l'abrogation de cette loi répressive et le conservatisme farouche des responsables politiques, le sujet sépare : certains y voient un tort causé à des milliers de jeunes, arrêtés et envoyés derrière les barreaux. «L'accusé» se retrouve condamné à au moins un an de prison et 1.000 dt d'amende pour avoir fumé un joint ou inhalé la fumée du cannabis. Des raisons qui se suivent mais ne se ressemblent pas... Tandis que d'autres y voient un encouragement à une consommation effrénée. «Plus d'un quart des prisonniers actuellement sont condamnés pour consommation ou détention de cannabis.» Affime Ghazi Mrabet, avocat, activiste et président de l'association «Assajine 52» ou «Prisonnier 52». «Dépénaliser cette loi devient une urgence nationale. Ce sont les dealers qu'il faut pourchasser et non pas les consommateurs qui ont grandement besoin qu'on les encadre». Fin décembre, les ONG ont soumis un projet d'amendement de la loi qui vise principalement à abroger la peine d'emprisonnement lors des deux premières condamnations. Peine perdue : la loi a été maintenue. Pis, elle est bien plus répressive ! La peine d'emprisonnement à un an dès la première consommation est applicable et rétablie par le ministère de la Justice. Une version validée à la hâte au début, sans avoir écouté les représentants de la société civile au sein de l'ARP. Ces mêmes membres qui en ont fait la demande. «Faire passer une nouvelle loi sans écouter la société civile est contraire à l'esprit de la Constitution de 2014», a expliqué Ghazi Mrabet. Depuis, la décision a été suspendue et des membres de la société civile ont été entendus par le bureau de la Commission de législation générale et son président. «Certains sont engagés dans ce combat et d'autres pas. L'emprisonnement demeure, à l'heure actuelle, la solution pour une grande majorité des députés». D'autre part, la prise de position de Lotfi Zitoun, du parti Ennahdha, a été fortement saluée. Ce dernier appelle à la l'abrogation pure et simple de cette loi. Le président Béji Caïd Eessebsi appelle aussi à une réforme en profondeur. «Où est la Zatla ?» Les réactions flambent dans les hautes sphères juridiques et politiques, mais la réalité sur le terrain est tout autre. Il y a un peu plus d'un mois, une expression redondante ne cesse de circuler : «Où est la Zatla ?». La pénurie se fait sentir. Jeunes ou moins jeunes, pour la plupart consommateurs ou pro-cannabis s'affolent et l'affirment haut et fort : «Cette drogue douce existe et circule depuis des années et des années. Elle est à la portée ! Il suffit d'en demander. Ce n'est pas les dealers qui manquent!», a affirmé un consommateur de 31 ans sous couvert d'anonymat et qui vient de sortir de prison. «Cette substance circule partout et est en permanence achetée et consommée, que ce soit dans les quartiers populaires ou les quartiers huppés. Etudiants ou citoyens ordinaires en consomment, tout comme le tabac et l'alcool. Seulement, on ne l'affiche pas, de peur de se faire épingler par les autorités». R., 25 ans, étudiant en informatique, en a consommé en permanence, durant au moins 4 ans, avant de se faire arrêter avec un ami, âgé d'à peine 20 ans. «Avec le soutien financier de ma famille, je n'ai pu écoper que de deux mois de prison. J'ai été condamné à un an de prison et à 1.000 dt d'amende. Pourtant, le test était négatif au cannabis. Une fois en prison, j'ai vu et vécu les conditions de détention lamentables et inhumaines au sein des prisons tunisiennes : manque effroyable d'hygiène, violences, maladies. Pour avoir fumé un joint, je me suis retrouvé enfermé avec des criminels, des violeurs mais surtout des terroristes, qui continuent de sévir dans les prisons». Il poursuit : «C'est dingue ! Quand on voit que cette drogue douce est consommée en toute légalité dans d'autres pays à des fins thérapeutiques! Que ces effets sont bien moins nocifs sur la santé, que l'alcool ou le tabac. On se demande : jusqu'à quand cette loi va-t-elle continuer à briser continuellement des vies?». La prison n'est pas la solution ! R., une jeune fille âgée aujourd'hui de 23 ans, a été condamnée lorsqu'elle avait 18 ans, à un an de prison ferme et à 1.000 dinars d'amende pour avoir été soupçonnée elle et son ami, de fumer, du cannabis dans les environs du lycée. «Il ne fumait pas publiquement mais on a soupçonné qu'il en consommait. C'est une expérience qui change une vie, et dont on garde les séquelles longtemps. Il faut cesser de poursuivre les consommateurs. Il faut s'attaquer à la racine du problème. Légalisez le cannabis. Je pense qu'avoir fait de la prison quelque temps et en sortir, par la suite, n'empêche pas les consommateurs réguliers d'en fumer de temps à autre. La prison n'est pas la solution ! Nombreux et nombreuses sont passés par la case prison et sont sortis par la suite, toujours avec un joint sur eux». Elle poursuit : «Il faut sortir le sujet du contexte conservateur et hautement tabou. Entre fumer du cannabis, ou consommer de la drogue dure et synthétique extrêmement nocive pour la santé, et à la portée également, le choix est fait !». Un projet de loi controversé Il y a moins d'une dizaine de jours, le ministère de la Justice a procédé à la reformulation du projet de la loi 52 relative à la consommation des stupéfiants au sein de la Commission de législation générale à l'ARP, ajoutant à l'ancien projet de loi des peines carcérales jugées bien « plus répressives qu'avant à l'encontre des consommateurs et des récidivistes », par la société civile... La possibilité d'écoper d'une année de prison dès la première condamnation est toujours maintenue. Pendant ce temps, les négociations ont atteint leur paroxysme ... et la lutte est toujours de mise. H.H.