Le président du parti Ennahdha et président du parlement Rached Ghannouchi a adressé samedi une lettre au président de la République Kaïs Saïed pour lui demander d'organiser une rencontre entre les trois présidents. L'objectif de cette rencontre tripartite est bien entendu, de débloquer la situation et de trouver une issue à la crise politique que vit le pays depuis plus de cinq semaines. En effet, en limogeant le ministre de l'Intérieur, puis en annonçant le 16 janvier dernier un remaniement qui touche onze ministres d'un coup, le chef du gouvernement Hichem Mechichi a opté pour la confrontation avec le président de la République. Le vote au sein du parlement le 26 janvier annonçait une nouvelle alliance entre Mechichi et son « coussin », contre le président de la République alors que le limogeage de cinq ministres le 15 février dernier s'apparente à une fuite en avant. Seulement, malgré son apparence séduisante, cette initiative de Rached Ghannouchi a peu de chances d'aboutir par manque de tact ou par maladresse intentionnée. En effet, cette lettre adressée au président de la République semble être une initiative personnelle du président du parlement. Comme l'a affirmé le dirigeant du bloc démocratique, le député Mohamed Ammar, cette initiative n'a pas été discutée au sein du bureau de l'Assemblée des représentants du peuple. Elle a été divulguée par deux nahdhaouis, Maher Medhioub, porte-parole de Rached Ghannouchi au parlement et Fathi Ayadi, porte-parole du parti Ennahdha. Tout semble indiquer donc, que même s'il a utilisé les moyens logistiques du parlement, c'est Ghannouchi le chef islamiste qui est l'auteur de cette initiative et non le président de l'ARP, ce qui change fondamentalement la donne d'une part, et renforce l'amalgame entretenu par Ghannouchi depuis son élection à la tête du parlement, d'autre part. Connaissant le côté méticuleux du président de la République et son attachement aux procédures, et sachant que le fond de la crise politique actuelle du pays dépasse la péripétie du remaniement ministériel et concerne cette querelle fondamentale sur les prérogatives entre Kaïs Saïed et Rached Ghannouchi, il y a gros à parier que la lettre de ce dernier restera sans suite. D'un autre côté, il est communément admis en diplomatie politique et en méthodes de résolution des conflits que les initiatives de bons offices doivent s'armer de patience et de discrétion pour se donner tous les moyens de réussite. L'annonce d'une médiation est une étape avancée de cette médiation qui indique que d'autres étapes comme le contact en aparté avec les belligérants ont abouti à des résultats probants. Elle suggère aussi que les belligérants ont accepté de se retrouver publiquement et qu'ils ne sont plus loin d'une solution concertée à leur différent. De toute évidence, ces étapes préliminaires nécessaires pour cette médiation n'ont pas été réalisées. Il est évident aussi que Ghannouchi, par la divulgation de sa lettre, vise essentiellement à mettre la pression sur le président de la République, marquer des points politiques contre lui et se donner l'image du sage rassembleur. Mais cela ne veut pas dire que les trois présidents ne doivent pas se rencontrer. Il est plus qu'urgent, vital même, que Saïed, Ghannouchi et Mechichi se rencontrent autour d'une table, pas pour résoudre tous leurs problèmes, mais pour trouver une issue concertée et honorable à ce blocage politique néfaste pour le pays. Seulement, le chef islamiste ne pourra pas jouer le rôle de médiateur. Cela équivaudrait à une situation de «hazza béjia», où le médiateur censé être neutre, se révèle un farouche allié de l'un des belligérants. Même s'il est originaire de la région de Béjà, le secrétaire général de l'UGTT, Noureddine Tabboubi semble être à l'heure actuelle, la personne la mieux indiquée pour jouer ce rôle de médiateur et gérer une rencontre tripartite au sommet de l'Etat.