« S'adressant au peuple, le président de la République, Kaïs Saïed, a affirmé qu'il applique l'article 80 de la Constitution. Or, il n'a pas respecté les dispositions de cet article », a déclaré la militante et professeure de droit, Sana Ben Achour. Invitée par la Radio Mosaïque FM au micro de Elyes Gharbi, Sana Ben Achour a considéré que le président de la République avait la possibilité de recourir à d'autres outils pour débloquer la solution tels que la révision de la Constitution. « Il est vrai que nous traversions une situation de blocage, mais, nous ne devons pas oublier qu'il est en partie responsable de cette crise politique », a-t-elle continué. Sana Ben Achour a expliqué que, d'un point de vue juridique, le président de la République a l'obligation de protéger l'Etat et le peuple et de prévenir des périls imminents et non pas le droit de ne pas respecter la Constitution. « Je considère que le risque de retour vers une dictature est réel. Nous devons nous méfier… Il est vrai que le président a affirmé qu'il respectera la liberté d'expression. Or, ceci n'est pas un acquis et ce n'est pas à lui de nous permettre de nous exprimer », a-t-elle affirmé. « Le président de la République affirme qu'il est la voix du peuple mais nous devons entendre les différents avis du peuple qui s'expriment à travers les partis politiques », a-t-elle estimé.
Par la suite, Sana Ben Achour a déclaré que dire qu'on parle au nom du peuple s'inscrit dans le cadre du populisme. Evoquant les distinctions que Kaïs Saïed opère dans ses discours entre patriotes et traitres et entre femmes travailleuses et autres servant de décor, Sana Ben Achour a, également, considéré que le président divise le peuple au lieu de l'unifier. « Il est vrai que le système est défaillant. Mais, nous sommes dans une situation d'absence d'intermédiaire entre le peuple et le président. Il n'y a pas de cour constitutionnelle ou d'Assemblée des Représentants du Peuple ou de tribunal administratif pour le contrôler. Les partis politiques, les organisations nationales ou le gouvernement n'ont pas non-plus la possibilité de le conseiller dans cette phase critique. La monopolisation du pouvoir sans contrôle est dangereuse », a-t-elle poursuivi. Sana Ben Achour a, aussi, critiqué l'idée de présenter Kaïs Saïed sous la forme du sauveur et du justicier détenant toutes les solutions. « Dire que Kaïs Saïed est le sauveur et lui permettre de jouir des pouvoirs absolus est inquiétant », a-t-elle insisté. Concernant l'affirmation de non-retour à la situation d'avant 25 juillet 2021, Sana Ben Achour a souligné l'ambiguïté de cette déclaration. « La reprise des activités parlementaires est quasi-impossible. Il est, donc, clair que nous allons vers le rejet total du système constitutionnel actuel », a-t-elle ajouté. « Le débat entre légalité et légitimité est l'une des plus vieilles controverses. Tout ce qui est légal n'est pas légitime. Les élections durant le règne de Ben Ali, par exemple, avaient lieu, mais sans respect de la démocratie… En principe, la légalité épuise la légitimité… Les députés détiennent, également, la légitimité des urnes puisqu'ils ont été élus par le peuple », a-t-elle ajouté.
Sana Ben Achour a estimé que le président n'a pas le droit d'affirmer que les mesures s'inscrivent dans le cadre de l'application de la loi. « Le président de la République a bricolé une lecture de la Constitution… Il y a une réalité : l'arbitraire obstrue l'approche juridique… Le droit se compose de normes, or, nous ne pouvons pas imposer à une réalité pareille un système normatif », a-t-elle considéré. « Nous avançons probablement vers la prolongation de la durée d'application des mesures exceptionnelles… Ceci conduira sûrement à une organisation temporaire des pouvoirs et une suspension partielle de la Constitution. Certaines dispositions de la Constitution ne peuvent pas être mises de côté telles que celles relatives aux conventions internationales… Nous ne sommes plus dans l'Etat d'exception mais plutôt dans l'Etat de faits », a-t-elle poursuivi. Sana Ben Achour a critiqué les campagnes de lynchages et de dénigrement auxquelles ont dû faire face plusieurs militants des droits humains à cause de leurs avis qui diffèrent avec celui des partisans de Kaïs Saïed. « Le peuple est heureux ! Ça me rappelle l'expression ''Le pays de la joie éternelle'' qu'évoquait Ben Ali », a-t-elle déploré. Enfin, en évoquant la déclaration de Kaïs Saïed concernant l'article 6 de la Constitution, Sana Ben Achour s'est interrogée : « Nous évoquons la dualité des dispositions de la Constitution même au sein des facultés de droits, mais le président de la République a-t-il le droit d'évoquer cet élément et de diviser les Tunisiens ? ».