La juge et présidente d'honneur de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), Raoudha Karafi, a souligné l'importance de l'existence du Conseil supérieur de la magistrature. Elle a rappelé que l'affiliation de la magistrature au pouvoir exécutif avait servi les intérêts de la dictature de Ben Ali. Invitée le 13 janvier 2022 par Elyes Gharbi sur les ondes de la radio Mosaïque FM, Raoudha Karafi a affirmé que la constitutionnalisation de l'indépendance de la justice tunisienne avait pour objectif d'éviter toute ingérence politique dans ce pouvoir. Elle a expliqué que cette indépendance n'a pas été totalement respectée. Elle a, à ce sujet, évoqué l'absence de réforme au niveau des lois portant organisation du corps des magistrats, de la structure du ministère public et des tribunaux. « Les écoles et lycées ont leurs personnalités morales. En contrepartie, les tribunaux sont, encore, considérés comme étant une administration relevant du ministère de la Justice », a-t-elle ajouté. Par la suite, Raoudha Karafi a révélé qu'aucune plainte relative à l'affaire des passeports et d'octroi de la nationalité tunisienne n'avait été déposée auprès du ministère public en 2013. Elle a expliqué que les faits remontaient à 2013, mais que le ministère public n'avait été saisi qu'en octobre 2021. « Aucun juge n'a dissimulé de dossier ! Les déclarations du ministre de l'Intérieur sont dangereuses et accusent les magistrats ! On ne peut pas tenir le ministère public pour responsable d'une enquête non-existante ! », a-t-elle poursuivi. La magistrate a considéré que les déclarations basées sur des informations imprécises visaient à orienter le cours de la justice. Elle a appelé la ministre de la Justice, Leila Jaffel, à réaliser un audit au niveau de l'Inspection générale de son département afin de voir s'il existait vraiment des dossiers sensibles dissimulés depuis une dizaine d'années. Par la suite, Raoudha Karafi a affirmé que le rapport de la Cour des comptes n'avait pas la qualité de jugement et que cette institution devait se pencher sur le rapport encore une fois pour le transférer par la suite à la justice. « On parle d'indépendance de la justice alors que le président de la République avait convoqué des magistrats pour leurs donner clairement et directement des instructions ! Le chef de l'Etat les a qualifiés d'employés, or, ils sont les représentants d'un pouvoir indépendant ! Je tiens à rappeler que la juge à la Cour des comptes, Fadhila Gargouri avait expliqué qu'un simple virement bancaire ne suffisait pas ! La justice doit prouver que l'élu a bénéficié au cours de sa campagne d'un financement extérieur ! », a-t-elle déclaré. Raoudha Karafi a, aussi, assuré que l'ouverture d'enquête et la prononciation de jugement n'aurait pas d'impact en raison de la tenue d'élections anticipées en décembre 2022. « Il est impossible de prononcer des jugements en moins d'un an ! Le processus vise donc à harceler et à faire pression sur la justice et les magistrats tunisiens ! Il pourra, ainsi, passer à l'application de son projet concernant ce pouvoir ! », a-t-elle assuré. La magistrate a considéré que le pouvoir exécutif n'était pas impartial et que la réforme de la justice en temps d'état d'exception servait ses intérêts. Elle a, également critiqué l'attitude des professeurs de droit soutenant le président et évoquant l'exemple de l'expérience française sous le règne de De Gaulle. « Il s'était engagé à ne pas opérer de réforme en matière de droits et liberté, mais aussi au niveau du pouvoir judiciaire ! La justice est une ligne rouge à ne pas franchir en temps d'état d'exception ! », a-t-elle affirmé. « La situation est dangereuse ! Le président est responsable des conséquences du discours agressif et incitant à l'encontre des magistrats ! L'affiliation de la justice au pouvoir exécutif signifie un retour à la dictature ! », a-t-elle conclu.