La page référendum est presque tournée en attendant que les recours soient définitivement déboutés. Le fait est qu'il est quasi sûr que la constitution sera adoptée, à moins que le Tribunal administratif, à la surprise générale, vînt à invalider les résultats. Il ne faudra pas trop y compter, non. La période de creux post-scrutin prendra fin le 28 août. A partir de là, la constitution entrera en vigueur dès l'annonce des résultats définitifs, mais le président continuera à légiférer selon les dispositions du décret 117 relatif aux mesures exceptionnelles jusqu'à l'entrée en fonction de la nouvelle assemblée à la suite de la tenue des élections législatives prévues le 17 décembre.
En attendant le scrutin, le président de la République compte bien nous pondre, par décret, une nouvelle loi électorale. Un président qui s'octroie de par la constitution écrite par ses soins, un pouvoir étendu, pour ne pas dire absolu, accepterait-il que des formations politiques qui lui sont hostiles fassent leur entrée au parlement ? Prendrait-il même ce risque ? Une Abir Moussi qui promet que son parti travaillerait en premier sur l'annulation de la constitution de Saïed au prochain parlement en adoptant le draft élaboré par le doyen Sadok Belaïd, ne représenterait-elle pas une réelle menace au projet présidentiel ? La quasi-majorité des partis démocrates qui sont opposés à ce projet, en plus des islamistes, ne seraient-ils pas une épine dans le pied de l'édifice ?
Le président déclamait au cours de sa campagne explicative de 2019 qu'il annulerait les élections législatives telles qu'on les connait pour les remplacer par le système de gouvernance par les bases. Exit le suffrage direct du parlement pour le candidat Saïed qui évoquait la suppression des législatives au profit d'un scrutin installant un conseil régional et territorial. Pour lui, la démocratie parlementaire a échoué et est dépassée. Depuis, il a mis de l'eau dans son vin en maintenant dans sa constitution l'Assemblée des représentants du peuple, mais en créant son fameux conseil régional et territorial qui viendrait affaiblir le champ d'action parlementaire. Le candidat Saïed de 2019 répétait aussi, à qui voulait bien l'écouter, que l'ère des partis politiques est révolue et que c'est désormais l'avènement du règne du peuple sous des formes nouvelles et innovantes. Il disait que les partis sont voués à disparaitre, que c'est une page de l'histoire qui se tourne, qu'ils sont à l'agonie et que le rôle qu'ils ont joué prendra fin dans peu de temps. Il affirmait que le pluralisme partisan disparaitra. Pourquoi ce petit rappel ? car il nous est nécessaire de saisir la teneur des convictions profondes du président, qui détient actuellement tous les pouvoirs, pour mieux anticiper les prochaines étapes. Kaïs Saïed a annoncé la couleur quand il a fait savoir, au lendemain du référendum, que sa première action sera de nous offrir un nouveau code électoral. Ses explicateurs nous disent qu'il travaillerait dessus avec l'aide d'un groupe d'experts en droit et que l'élection des membres du parlement se fera selon un scrutin uninominal et en optant pour un rétrécissement des circonscriptions électorales. Mais quel rôle et quelle latitude pour les partis politiques dans le système saïedien ? Pour l'explicateur attitré du président, on nommera Ahmed Chaftar, la chose est pliée : « Nous ne sommes pas dans un contexte de suppression des partis politiques, mais de changement de leur rôle », affirma-t-il lors de l'une de ses sorties médiatiques.
En l'absence d'un parti présidentiel et donc d'une majorité claire et définie au service de Saïed au parlement, le chef de l'Etat risquerait de se retrouver avec une assemblée hostile sur le dos. Cela ne l'arrangerait aucunement et si on conjuguait cela à son animosité envers les partis, il est fort à parier qu'il viendrait leur couper l'herbe sous les pieds avec son code électoral. Il n'est pas à exclure que le président tente de restreindre le poids des partis en imposant des règles du jeu qui leur sont défavorables. Il n'est pas à exclure également que les formations politiques boycottent le scrutin, comme elles l'ont fait lors du référendum, laissant ainsi encore une fois le champ libre à un Saïed qui n'aurait pas espéré meilleur cadeau. A leur retour des vacances, les Tunisiens auront à suivre une nouvelle saison du feuilleton politique dans lequel le président de la République compte bien garder le rôle principal, voire l'unique rôle.