L'hebdomadaire Acharâa El Magharibi, sous la plume de sa directrice Kaouther Zantour, a publié mardi 9 août un long article d'analyse digne d'intérêt à propos de la tension entre le président de la République, Kaïs Saïed et sa ministre de la Justice, Leïla Jaffel. Business News traduit pour vous les principaux extraits.
Plus de deux mois se sont écoulés sans que le président de la République ne reçoive sa ministre de la Justice, Leïla Jaffel. Le chef de l'Etat serait irrité par la mauvaise gestion du dossier de l'assainissement du pouvoir judiciaire. Un dossier qui a démarré avec un grand échec, à savoir la liste des magistrats révoqués. La dernière fois que le président de la République a reçu sa ministre de la Justice remonte au 6 juin 2022. On a bien cherché à taire l'histoire, mais les rumeurs persistantes commencent à circuler dans les coulisses du monde politique. Le président a reçu plusieurs rapports sur un certain nombre de dossiers, dont les plus importants sont « La liste de révocation de 57 juges » publiée par décret présidentiel. Certes, ce décret a été signé par Kaïs Saïed, mais la responsabilité de préparation de cette liste revient en premier lieu à la ministre de la Justice.
Colère Exceptionnellement, la présidence de la République n'a pas décrété de grâce spéciale pour les prisonniers à l'occasion de l'Aïd El-Idha (9 juillet), causant ainsi un préjudice à beaucoup de prisonniers. La raison serait la colère du président contre la ministre écartée du palais depuis un certain temps. Le président aurait laissé passer la traditionnelle amnistie, afin qu'il ne soit pas obligé de recevoir la ministre en même temps que les membres de la commission de grâce. D'après des fuites, il y aurait une réelle coupure entre le président et la ministre. Le président veut faire d'elle un bouc émissaire afin qu'elle supporte seule la responsabilité de la révocation des 57 magistrats et, de là, à l'écarter au prochain remaniement ministériel. La ministre est quasiment gelée et a été éloignée des cercles de décision après une réelle rupture de confiance avec le président de la République. A l'origine de cette rupture, un rapport confidentiel du conseil supérieur de la magistrature qualifié de sérieux et intègre. Ce rapport est revenu sur la révocation des magistrats et estime que la ministre s'est précipitée dans sa décision. Il a affaibli la ministre, accusée de régler des comptes avec un nombre de ses collègues magistrats, et a induit en erreur le président. Le rapport aurait donné raison à quelque 42 magistrats parmi les 57 révoqués. Outre le rapport du CSM, il y aurait un second rapport établi par une commission créée au sein du ministère de la Défense qui se serait penché sur un nombre de dossiers polémiques et qui a abouti à la conclusion qu'il y a eu plusieurs tromperies et mauvaises évaluations ayant entaché la crédibilité du président de la République.
Loin de ces deux rapports confidentiels, il y a eu un retard dans la proclamation des décisions du tribunal administratif à propos des magistrats révoqués. Mme Jaffel aurait demandé au président du tribunal de retarder l'annonce de sa décision après les déclarations d'avocats de magistrats révoqués qui ont affirmé que le ministère de la Justice a échoué à présenter des preuves appuyant les décisions de révocation. (…)
Malgré les critiques, Leïla Jaffel a poursuivi son travail à la tête du ministère de la Justice et on lui a demandé de dresser une liste des magistrats corrompus. La liste a été préparée et transmise au président avec des rapports similaires à des fiches de renseignements policiers. Kaïs Saïed a validé la liste et a publié son décret sans vérifier la véracité des éléments fournis, sans élargir sa consultation et sans écouter le CSM qui a émis ses réserves. La décision de révocation s'est transformée en un véritable dilemme pour le président qui est devenu la cible de critiques virulentes en Tunisie et à l'étranger. Les déclarations pour se défendre de plusieurs magistrats révoqués a jeté le doute sur les motivations réelles de cette décision. Il a été clair, ensuite, qu'il ne s'agit nullement d'assainir le corps judiciaire, mais plutôt de mettre à genou les magistrats à travers des règlements de compte et la punition de juges qui ont refusé d'obtempérer. A tout cela, s'ajoutent des rapports désavantageux sur Leïla Jaffel en sa qualité de magistrate, puis de ministre des Domaines de l'Etat et enfin de ministre de la Justice. En tout état de cause, Leïla Jaffel ne peut pas supporter toute seule la décision signée par le président de la République qui cherche, à chaque fois, un bouc émissaire pour expliquer ses erreurs et son échec. Leïla Jaffel risque de rejoindre la liste des révoqués qui ont été nommés sur la base de la loyauté et non la compétence. Les différents hauts responsables n'ont pas retenu la leçon, malgré ce qui est arrivé à leurs prédécesseurs. Idem pour le président de la République qui continue toujours sur la même voie destructrice de l'Etat.
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