Retour de vacances, retour au pays pour retrouver l'incivisme, les incivilités et la saleté. Néanmoins, on a beau faire le tour du monde, la Tunisie demeure incontestablement le meilleur pays, en dépit de toutes ses imperfections. C'est à nous, et uniquement à nous, de faire en sorte qu'il s'améliore. C'est notre rôle, c'est notre devoir. À tous nos maux structurels et socio-culturels d'avant, se sont ajoutés ces dernières semaines de nouveaux problèmes conjoncturels. Pénuries d'eau minérale, de sucre, de riz, de lait, d'huile, etc. En cette fin de saison estivale, les mariages se font sans nos délicieuses baklawa et kaâk. Nos enfants ne peuvent plus déguster leurs glaces de Parad'Ice et Ci gusta !. Ils n'ont même pas droit à des Prince et des Choco Tom. Même les boissons gazeuses ont disparu des rayons des épiceries et grandes surfaces. Tout cela ne vous suffit pas ? Voilà qu'on a décidé d'augmenter les prix des livres et des fournitures scolaires. Ça ne vous suffit toujours pas ? On vous augmente le prix du carburant samedi à minuit, alors que le cours du pétrole est en baisse quasi constante depuis le mois d'août. Bien sûr, sans préavis et en tout mépris, comme d'habitude.
Doté depuis plus d'un an d'un pouvoir absolu, Kaïs Saïed est l'unique responsable des pénuries et des problèmes que rencontrent les Tunisiens. Il ne peut même pas dire « Responsable, mais pas coupable ». Non, il ne peut pas le dire, car il est la cause directe des pénuries actuelles. Le problème de l'eau minérale ? Les grossistes ne veulent plus stocker des marchandises parce qu'ils ont peur d'être assimilés à des spéculateurs et ainsi tomber sous le coup de la nouvelle loi fort répressive avec des peines allant jusqu'à perpétuité. Le problème du sucre ? Les fournisseurs ne veulent plus nous livrer tant que nous n'avons pas honoré nos factures. Les caisses sont vides ? L'Etat a du mal à respecter son propre programme mis noir sur blanc dans la Loi de finances. Il n'a pas signé d'accord avec le FMI, il a très longtemps snobé les partenaires sociaux, il refuse tout débat avec les médias et la société civile. Le mépris se poursuit et l'on ne tire aucune leçon du passé. La Loi de finances 2023 se prépare en catimini, sans aucun débat public.
Tout ce qui nous arrive aujourd'hui a été prédit par plusieurs experts et hommes politiques sensés. Hakim Ben Hamouda et Fadhel Abdelkéfi, par exemple. Business News fut l'un des premiers et rares journaux à tirer la sonnette d'alarme. En mars dernier, dans cette même rubrique, je titrais « Liban, on arrive ! ». « Si rien n'est fait, on se dirige vers le scénario libanais ! », prédisait déjà M. Ben Hamouda en mai 2021. C'est-à-dire bien avant le putsch du 25-Juillet, date à laquelle les choses ont empiré. Au début de l'année, on disait qu'au vu de la situation des finances publiques et au vu de ce qui est écrit dans la Loi de finances 2022, qui n'a prévu aucun plan B au cas où le FMI ne viendrait pas à son secours, l'Etat se dirige vers la faillite dès le deuxième trimestre 2022. Ça n'a pas eu lieu. Pourquoi ? Parce que le régime de Kaïs Saïed a joué la fuite en avant en souscrivant des crédits onéreux auprès des banques tunisiennes (ce qui est très dangereux, puisque ces banques sont supposées financer l'économie nationale et non l'Etat) et en roulant ses fournisseurs.
Les préoccupations et priorités des Tunisiens sont claires, elles sont toutes en rapport avec l'inflation galopante et les pénuries. Mais ces préoccupations ne figurent pas dans l'agenda du président de la République, visiblement. Ses priorités sont différentes de celles des Tunisiens. Mercredi 14 septembre, il envoie pour avis une ébauche du nouveau code électoral à l'Instance supérieure indépendante pour les élections. Avant même que l'Isie ne se prononce sur le texte, le président de la République fait publier le nouveau code dans le Jort, jeudi 15 septembre. Un jort quasi transformé en blog ou journal intime de Kaïs Saïed. Pour assaisonner la blague, le président s'est même permis d'apporter des modifications à son propre projet entre son envoi à l'Isie et sa publication au Jort. Dans ce code électoral, et comme on l'a vu avec le projet de constitution qu'il a écrit tout seul, les perles ne manquent pas. La meilleure est celle d'interdire les binationaux de candidater aux législatives dans les circonscriptions en Tunisie. Cela s'appelle de la discrimination et de la ségrégation monsieur le président ! Nous ne sommes pas au Moyen-âge ou au Moyen-Orient pour classer les Tunisiens en première et seconde catégorie !
Nous ne sommes pas encore réveillés du choc du code électoral, et voilà que le président fait publier, vendredi 16 septembre, un nouveau code relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d'information et de communication. Désormais, si vous avez le malheur de publier une information non vérifiée sur Facebook, vous êtes passible d'une peine de prison de cinq ans fermes et de cinquante mille dinars d'amende (15.500€). La nouvelle législation n'offre même pas la possibilité au juge d'apprécier le crime et de prononcer des peines plus légères pour des intox sans gravité et sans incidence. Pire, la sanction est doublée si la fake news touche un fonctionnaire. Il suffit donc d'écrire "On croit savoir que Najla Bouden va démissionner" pour risquer dix ans de prison ! En clair, un cambriolage, un pickpocket, un trafic de drogue ou un vol à l'arraché avec violence est puni avec des peines moins lourdes qu'une intox sur Facebook ! Cela s'appelle de la répression monsieur le président ! En droit, monsieur l'enseignant de droit, il y a un principe qui dicte que les sanctions doivent être cohérentes avec la gravité des délits et des crimes commis. On ne peut pas prononcer vingt ans de prison pour un feu rouge grillé, comme on ne peut pas prononcer trois mois de prison pour un viol. Les intox sur les réseaux sociaux sont une véritable plaie qui nuit fortement à la société. Ces intox doivent être punies par la loi, ceci est indéniable, mais la peine ne saurait être cinq ans de prison ! C'est inimaginable, même dans les pays les plus répressifs de la planète ! Le rigolo dans tout cela est que celui qui a propagé le plus d'intox en 2022 est Kaïs Saïed lui-même. Durant tout le week-end, internautes et hommes politiques se sont amusés à énumérer ses différents mensonges. Cela va des multiples tentatives d'assassinat dont il a fait l'objet au tunnel de la Marsa menant vers la Résidence de France. Le mensonge est tellement devenu une seconde nature chez ce régime qu'il se permet même d'en commettre devant le conseil des Droits de l'Homme de l'ONU !
Avant d'achever cette chronique, un mot de compassion à Habib Rebai, ce juge courageux qui a démissionné de l'Isie en soutien à ses collègues magistrats pendant leur grève. Parce qu'il a dit « non », parce qu'il a fait jouer sa clause de conscience, ce juge a été privé de son salaire depuis des mois. Le régime l'a tellement humilié pour sanctionner son courage jusqu'à le pousser à publier une lettre de pardon à Kaïs Saïed ! L'Histoire et les Sciences politiques nous ont enseigné qu'un régime menteur qui ne se préoccupe pas des priorités de son peuple et qui gouverne par l'injustice et la répression, ce régime-là a une durée de vie très limitée et finit, généralement, très mal. Hamma Hammami a comparé Kaïs Saïed à Hitler. Il en est loin. Hitler défendait une idéologie, lui. Kaïs Saïed, qui aime tant raconter les personnages historiques de l'épopée islamique, est comparable à Hajjej Ibnou Youssef (661-774), un des gouverneurs arabes les plus répressifs. Ceux qui ont élu Kaïs Saïed et voté « oui » au référendum, finiront par ouvrir les yeux lorsqu'ils en auront ras le bol des pénuries, lorsque l'un des leurs est condamné à cinq ans de prison ou lorsque l'injustice de Kaïs Saïed les touchera. Au vu de son mode de gouvernance et de sa déconnexion d'avec les préoccupations réelles du peuple, Kaïs Saïed devrait finir comme Ceausescu, Gueddafi ou Saddam. Au mieux, il sera frappé par la même malédiction du palais de Carthage que Bourguiba et Ben Ali.