Les fidèles lecteurs de Business News auront certainement remarqué que leur journal n'a pas écrit un mot sur la polémique qui a agité la toile à propos des quantités de viandes rouges acquises par la présidence de la République. C'était un choix éditorial dicté par le fait qu'il n'y avait pas matière à polémiquer car il s'agit d'un achat d'approvisionnement normal et que le populisme suscité par cette histoire dans la plupart des commentaires n'avait pas besoin d'être alimenté. Car il faut dire que la présidence de la République a été vilipendée et attaquée sur les réseaux sociaux à coup de grandes doses de populisme et de mauvaise foi. Il s'agit désormais de la scène sur laquelle va avoir lieu le jeu politique tunisien. Le populisme a été instauré par le président de la République, Kaïs Saïed, comme la règle première du discours politique. Lui et ses fanatisés ne doivent pas s'étonner aujourd'hui que leurs adversaires et leurs opposants répondent en usant des mêmes armes. La Tunisie, qui traverse l'une des pires crises économiques et sociales qu'elle n'ait jamais connues, se paye en plus le luxe de ne pas dialoguer autour de ces problématiques. Ceux qui parlent aujourd'hui de réforme économique, de projets d'avenir pour le pays, d'amélioration de la situation sociale sont devenus complément inaudibles à cause du vacarme que fait le palais de Carthage.
Dernier exemple en date, le chef de l'Etat évoque la problématique du déficit commercial avec sa cheffe du gouvernement, Najla Bouden, en préconisant de réduire les importations de produits dits de luxe comme la nourriture pour animaux et les parfums. Le populisme, élevé au rang de politique d'Etat par Kaïs Saïed, conduit le président à évoquer les plus pertinentes des problématiques en y apportant les plus mauvaises réponses possibles. Il y a un vrai problème de déficit commercial en Tunisie cela est indéniable. Mais au lieu d'évoquer le glissement du dinar, la crise mondiale autour de l'approvisionnement ou encore les moyens à mettre en œuvre pour augmenter les exportations, le président parle de nourriture pour animaux et de maquillage. Kaïs Saïed aura réussi à instaurer un populisme confondant que l'on trouve dans les déclarations politiques et sur les plateaux médiatiques. Le ridicule devient tout à fait admis et l'hérésie devient théorie. Ce que l'on doit se rappeler est que les pires dictatures du monde se sont basées, avant tout, sur le socle d'un discours ultra-populiste. Les éléments de ce discours deviennent par la suite des principes inébranlables dont la remise en doute peut conduire en prison, ou pire. Kaïs Saïed et ses disciples sont critiques envers la marche du monde et condamnent avec vigueur la situation internationale, mais cela ne les empêche pas d'adopter et d'utiliser les mêmes mécanismes pour s'emparer totalement du pouvoir. Ils ont besoin d'alimenter le mythe selon lequel ils auraient une approche nouvelle des choses, et pour alimenter ce mythe il faut beaucoup de populisme. A ce populisme il faut aussi des cibles désignées. Alors tour à tour, ce seront les opposants politiques accusés de tous les maux du pays, ce seront aussi les hommes d'affaires qui sont des corrompus notoires et qui monopolisent les richesses du pays, ce sera également l'élite du pays qui n'est pas en phase avec le « tournant historique » initié par le président de la République et qui ose dire qu'il se trompe. A chaque phase, à chaque épisode de ce mauvais feuilleton ses cibles désignées. Faute de réel contenu, le discours sonne souvent creux et l'on est obligé de taper sur cet ennemi invisible et insaisissable que sont les « parties », les « autres » ou les « traitres ».
Kaïs Saïed aura réussi à mettre une majorité de ses opposants politiques au diapason de son discours populiste et creux. Il a fait en sorte que ce soit le seul langage audible sur la scène tunisienne pour le plus grand malheur de ce pays. Le traitement de la dangereuse problématique du déficit commercial se transforme en échange de blagues plus ou moins marrantes autour de la nourriture des animaux et du maquillage. De l'autre côté, nous avons des disciples et des « explicateurs » incapables de répondre à la moindre interrogation concernant la compensation, les déficits de la Tunisie ou encore la gestion de sa dette extérieure. Mais sans aucune vergogne, ils nous promettent monts et merveilles. Ahmed Chaftar, plus grand fan du professeur président, dit, sur les colonnes d'Acharaa Al Magharibi qu'il va se porter candidat pour « être à la hauteur de la responsabilité » et que « nous verrons des merveilles après les élections ». Dans n'importe quelle démocratie respectable, de tels propos seraient la risée de tous. En Tunisie, ce sont des propos tout à fait acceptables, admis et même portés par d'autres relais. Quand Kaïs Saïed parle de « milliards de milliards » à récupérer on ne sait où car on ne sait qui les a volés, il voit son discours adopté par une population crédule et désemparée. Le pire c'est que Kaïs Saïed et ses aficionados croient vraiment que la Tunisie décollera grâce à ses entreprises citoyennes et sa réconciliation pénale.
Michel Onfray a écrit : « Le populisme est le plus dangereux des narcotiques, le plus puissant des opiums pour endormir et anéantir l'intelligence, la culture, la patience et l'effort conceptuel ». Nous pouvons dire qu'en Tunisie, nous sommes en plein trip, et la descente va faire très mal.