Les services de la présidence de la République, dont le président, ont jeté, hier 31 mars 2020, les bases d'un nouveau mode de communication, jusque-là inconnu dans le monde. En deux heures, nous avons eu droit à un discours d'avant-réunion, à un communiqué d'après-réunion et à un communiqué explicatif par rapport à un point évoqué dans le discours. Il devient limpide que ce pauvre peuple, assailli par le coronavirus, par la peur de ses conséquences économiques et sociales et par la misère, ne trouvera aucun réconfort dans les mots ni dans les gesticulations du président de la République. Sur la forme, les interventions de la présidence sont tout bonnement catastrophiques. La majorité du peuple ne comprend pas ce qu'il veut dire et ne sait pas où il veut en venir. Lui-même donne l'impression de naviguer à vue, au moins en termes de communication, puisque ses services sont obligés de publier des communiqués explicatifs de ses interventions. A l'heure où une communication claire et pertinente est une nécessité impérieuse, le président de la République bafouille. Il reste convaincu qu'il a la capacité de discourir comme il faudrait en improvisant. Il pense avoir des talents d'orateur, à l'image des grands rois d'autrefois, qui ont sans doute bercé par leurs histoires une grande partie de sa vie. Sauf qu'il n'en est rien, lui et ses équipes sont les seuls qui ne s'en sont pas encore rendu compte.
Mais le discours du président de la République ne pêche pas seulement sur la forme. Loin s'en faut. Il pêche aussi par son contenu largement populiste. A ce stade, il parait nécessaire de procéder à une mise au point. Le populisme est un choix politique, et ce n'est pas forcément un terme péjoratif. Kaïs Saïed semble avoir fait ce choix depuis longtemps. Le populisme est une approche politique partagée par plusieurs courants en Tunisie, dont Al Karama. Il s'agit de mettre en opposition le peuple et son élite, et bien sûr de prendre le parti du peuple. Il s'agit d'exacerber des sentiments de peur, d'exclusion ou de colère chez le peuple contre une caste de privilégiés dont on n'hésitera pas à exagérer la mainmise ou la nuisance. Il faut dire au peuple qu'il a en lui toutes les capacités nécessaires pour gouverner, bien mieux que son élite, sans jamais se hasarder à définir ce qu'est le peuple. Au contraire, il faut garder ce mystère et même l'élever au rang de dogme intouchable.
Mais il y a lieu de s'interroger : est-ce qu'une telle approche politique reste valable quand on est président d'une République confrontée à la pire crise sanitaire de son Histoire ? Est-ce que le contexte de pandémie mondiale permet d'user de tant de populisme ? C'est l'avenir qui nous le dira mais il est indéniable que cela laisse un goût amer dans la bouche, qu'il y a une impression persistante d'indécence, de quelque chose de déplacé. On a vu un président se ranger du côté de ce peuple d'opprimés et de malheureux. En soi c'est une bonne chose. Mais Kaïs Saïed s'est rangé de ce côté-là pour mieux attaquer et critiquer le gouvernement dans un règlement de comptes pour le moins inapproprié. Elyes Fakhfakh et son gouvernement sont largement critiquables. Effectivement, il y a eu des erreurs qui ont été commises et l'action gouvernementale est très loin d'être parfaite. Mais est-ce au président de la République d'en faire le constat ? Comment un président qui prône la solidarité peut-il, en même temps, en manquer si cruellement ?
Par ces agissements, Kaïs Saïed explore les confins du populisme politique et pourrait même prétendre en devenir l'un des pionniers. Il en profite pour éluder toutes les thématiques qui lui seraient préjudiciables. La première est que c'est lui qui a choisi Elyes Fakhfakh comme étant la personnalité la plus « apte ». Il est donc tout aussi responsable que lui s'il y a des manquements ou si l'action de l'Etat n'est pas au niveau souhaité.
Autre question importante, le président de la République a déjà activé, en catimini, l'article 80 de la constitution qui lui donne toute latitude pour prendre les décisions qu'il juge nécessaires. Il a activé cet article dans le cadre de la guerre de prérogatives qu'il s'est échiné à nier, d'ailleurs. Donc, où sont vos décisions monsieur le président ? Montrez-nous la voie puisque le gouvernement se trompe apparemment. Cela lui permet aussi de ne pas évoquer le braconnage qu'il opère sur les aides internationales, dont il s'attribue le mérite. Les aides parvenus de Chine grâce à la générosité de Jack Ma seraient arrivées avec ou sans l'intervention de la présidence de la République.
Beaucoup d'internautes et d'observateurs ont dit que Kaïs Saïed était encore en campagne et qu'il continue à tenir le même discours pour tenter de s'attirer la sympathie de ses électeurs. Je ne le crois pas. Kaïs Saïed fait ce qu'il fait et dit ce qu'il dit pour la simple raison qu'il n'a rien d'autre à proposer. Ce n'est pas un choix opéré dans une panoplie de stratégies et d'approches politiques. Il n'y a que ce discours faussement savant et il n'y a que cette approche politique populiste. Tout ce qu'on verra, ce sont des variations dans l'intensité mais le fond restera toujours le même.