Samedi 15 octobre 2022, le Fonds Monétaire International (FMI) a approuvé un accord élargi de 48 mois avec la Tunisie portant sur un montant de 1,9 milliard de dollars. Deux jours après, soit le 17 octobre 2022, le président de la République, Kaïs Saïed s'est entretenu avec la cheffe du gouvernement, Najla Bouden. Plusieurs acteurs de la scène politique attendaient avec impatience la publication du communiqué officiel de la présidence de la République afin de découvrir ce que le chef de l'Etat avait à dire après la conclusion de cet accord, lui qui avait tant fait l'éloge de la souveraineté des pays et de son indépendance financière. A la grande surprise de tout le monde, pas un seul mot n'a porté sur cet événement marquant. Le chef de l'Etat a choisi, encore une fois et avec beaucoup de retard, d'évoquer le drame de Zarzis. Encore une fois, le président nous fait sentir cet énorme décalage entre la Tunisie que nous connaissons et celle dont il parle. On utilisera le terme encore une fois, car le président s'est illustré dans la chose. Alors que tout le monde criait à la famine et mettait en garde contre la détérioration de la situation économique du pays et de sa sécurité alimentaire, le chef de l'Etat, Kaïs Saïed était préoccupé par l'élaboration du projet de la nouvelle Constitution, la tenue du référendum et la révision de la loi électorale. Des choses qu'il aurait pu accomplir depuis l'annonce de son coup d'Etat du 25 juillet 2021. Il lui aurait suffi de créer une commission d'experts, de personnalités politiques ou même de ses soutiens qu'il aurait chargé d'élaborer et de promulguer tout texte nécessaire à la mise en place de son projet politique. Or, le président a choisi de combattre de mystérieux ennemis se cachant dans l'ombre et monopolisant les vivres et les marchandises, même celles monopolisées par l'Etat ! Ceci nous a permis de savourer un raid qu'il avait lui-même réalisé. Il avait pris pour cible des entrepôts de fer et de pommes de terre. On découvrira, par la suite, qu'il n'y avait rien d'irrégulier ou d'illégal dans ces lieux et que l'un d'entre eux stockait de la marchandise commandée par l'Etat. Tout ce qu'avait dit le président et relayé ses partisans n'était qu'illusion ! Cette campagne de lutte contre les spéculateurs a duré des mois, parallèlement à une pénurie qui gagne de plus en plus de terrain. Nous en étions venus à nous retrouver devant des rayons vides et complètement désertés. Des produits ont carrément disparu de notre quotidien. De son côté, Kaïs Saïed n'a pas bronché. Il a continué à lancer des accusations et à diviser les Tunisiens. Il avait affirmé, à plusieurs reprises, que des partis politiques étaient derrière cette pénurie. Les grossistes, marchant et plusieurs experts et représentants d'organisations syndicales et professionnelles ont essayé de ne pas réagir. Néanmoins, la farce a duré trop longtemps. Ils ont tous fini par s'exprimer et s'adresser aux consommateurs afin de leur expliquer qu'il n'y avait pas de spéculateurs cachés dans l'ombre, mais que l'Etat n'était plus dans la capacité de payer ses fournisseurs et de garantir l'approvisionnement du marché tunisien. Entre-temps, et alors que de véritables batailles pour le sucre et autres produits de base avaient éclaté dans les supermarchés, le chef de l'Etat a choisi de mener une autre bataille : se préparer à des élections sur mesures. Kaïs Saïed a, encore une fois, montré qu'il n'était pas conscient de la gravité de la situation et que son ordre de priorités différait de celui du peuple tunisien. Et pour revenir à notre triste réalité, abordons encore une fois la question de Zarzis. Le naufrage d'une embarcation emportant avec elle 18 passagers dont un bébé a eu lieu à la date du 18 septembre 2022. Durant les jours suivants, des pêcheurs partis à la recherche des migrants ou d'autres s'adonnant tout simplement à leur activité économique ont commencé à découvrir des corps en mer. Tout au long de cette tragédie, on a découvert l'attitude choquante du gouverneur de Médenine qui avait même insulté les habitants de Zarzis. Il a, aussi, apposé sa signature sur des documents ayant servi à l'enterrement de naufragés tunisiens dans le jardin d'Afrique. Il s'agit d'un cimetière servant à enterrer les migrants étrangers non identifiés, morts durant la traversée de la Méditerranée. L'enterrement doit suivre des procédures bien définies dont l'analyse ADN afin de confirmer qu'il s'agit de migrants étrangers et non-pas de Tunisiens. La nouvelle a provoqué l'indignation et la colère des citoyens de la région et des familles des défunts. Un jour de colère et des manifestations ont éclaté dans la région. Plusieurs appels ont été lancés à la présidence de la République et à la présidence du gouvernement, mais en vain ! Entre temps, Kaïs Saïed était préoccupé par la révision de la loi électorale. Ceci fait, il a repris sa fameuse bataille contre les mystérieux spéculateurs, mais cette fois-ci à cause de la pénurie de carburant. Tout au long des deux dernières semaines, le chef de l'Etat n'a, dans aucune de ses quatre rencontres avec Najla Bouden ayant eu lieu du 1er au 11 octobre 2022, abordé la question. On aura encore une fois compris que le président vivait dans une autre réalité parallèle à la notre. La question de la situation à Zarzis et du drame vécu par les habitants de la région n'a été abordée par Carthage qu'à partir du 14 octobre, soit près d'un mois après le naufrage et deux semaines après la découverte de l'enterrement d'un adolescent tunisien dans le cimetière dédié aux migrants étrangers non-identifiés. Par la suite, et au lieu de se rendre sur place, de réconforter les habitants et rassurer les familles des victimes, l'exécutif tunisien a préféré se cloitrer derrière les murs du plais de Carthage. Le gouvernement aurait été contaminé par ce syndrome de monde parallèle ou était bien trop occupé par la conclusion d'un accord avec le FMI. A peine une heure après l'annonce du fonds, l'info faisait le tour des médias. Il s'agissait d'un événement attendu qui devait alléger la crise. Il serait, donc, tout à fait logique que le président de la République, qui ne cesse d'insister sur son attachement à l'amélioration de la situation économique, en parle. Mais rien de tout cela n'a eu lieu. Le chef de l'Etat a choisi de maintenir ce décalage et de parler de Zarzis des semaines après le drame. Il nous faudra sûrement deux à trois semaines pour avoir droit à un communiqué ou une petite déclaration de la part du président de la République parlant de cet accord.