Pour fuir un pays ravagé par la crise, certains Tunisiens sont prêts à tout. Ils sont des centaines chaque année à périr dans la traversée vers l'Europe, victimes des embarcations de la mort. Aujourd'hui les migrants sont de plus en plus nombreux à opter pour un autre parcours s'engageant sur la route des Balkans pour gagner l'Europe de l'Ouest. Un périple qui n'est pas sans risque. Les violences policières auxquelles font face les migrants à la frontière serbo-hongroise et jusqu'à Belgrade, deviennent systématiques et touchent également les personnes qui y vont en toute légalité pour faire du tourisme. L'Etat tunisien reste pourtant frileux… Plus de vingt tunisiens arrivant de Turquie vers la Serbie sont détenus par les autorités à l'aéroport de Belgrade, a indiqué le député Majdi Karbai assurant que le nombre de détenus a dépassé les soixante personnes depuis la journée d'hier. Le député a évoqué des conditions de détention « inhumaines », de passagers retenus « illégalement », qui ont poussé ces derniers à entamer une grève sauvage de la faim pour réclamer « leur dignité et la dignité de tout Tunisien victime de ces pratiques ». Selon des témoignages, certains Tunisiens, venant d'Istanbul en Turquie et retenus à l'aéroport de Belgrade malgré leur situation légale, ont subi la brutalité des autorités portuaires suite à leur refus de signer leur décision d'extradition vers la Turquie. Neuf d'entre eux ont été renvoyés de force vers l'aéroport d'Istanbul. Majdi Karbai souligne qu'il n'existe aucun contrôle sur les conditions de leur détention de la part d'organisations humanitaires, ces dernières étant interdites d'accéder aux lieux de détention, précisant qu'il a tenté d'alerter des organisations, ainsi qu'un avocat spécialisé dans les affaires de migration en Serbie devant le silence étonnant des autorités tunisiennes face au crime perpétré contre des citoyens tunisiens.
Les mesures répressives pratiquées en Serbie et en Hongrie font depuis quelque temps la Une de nombreux journaux internationaux. De nombreux organismes ont, en effet, alerté sur les refoulements de plus en plus violents commis à l'encontre des migrants interceptés dans les Balkans. Médecins sans frontières (MSF) a recueilli de nombreux témoignages attestant des humiliations et de la barbarie subies par les migrants à la frontière entre la Hongrie et la Serbie. MSF note « un recours alarmant et répété » à la violence de la part des forces de sécurité hongroises, à l'encontre des personnes traversant la frontière entre la Serbie et la Hongrie. « Ces éléments indiquent que les coups de ceinture, de bâton, de pied, de poing, les diverses formes d'humiliation, l'utilisation de gaz poivré et de gaz lacrymogène sont des pratiques dissuasives courantes, précédant les refoulements et le refus de prêter assistance » précise l'organisation dans un communiqué daté du moins d'août. « Depuis janvier 2021, les équipes médicales mobiles de MSF ont traité 423 personnes victimes de violences à la frontière. La plupart de ces récits décrivent un schéma similaire de passages à tabac, de refus d'accès aux besoins de base et de harcèlement, souvent accompagnés d'humiliations à connotation raciale » souligne MSF. L'ONG Border Violence Monitoring Network note, pour sa part, une recrudescence de la violence qu'elle qualifie de « plus importante » et « plus intense ». Les « Pushbacks » sommaires et les violences policières sont désormais institutionnalisées et « soutenues » par les nouvelles mesures répressives visant à limiter les arrivées sur le territoire européen, mesures que le Conseil de l'Union européenne a concrétisées par une décision pour un accord entre l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex) et la Macédoine du Nord pour « aider le pays à contrôler la migration irrégulière ».
Le Conseil européens pour les réfugiés et exilés (ECRE) note que des données récentes de Frontex, indiquent que 106.000 traversées des Balkans occidentaux vers l'UE ont été enregistrées de début janvier à septembre de cette année, soit 170 % de plus que la même période de 2021. « Pendant ce temps, les migrants tunisiens sont contraints de rechercher de nouvelles routes plus sûres vers l'Europe, comme la route des Balkans. 15.000 migrants tunisiens ont ainsi emprunté la voie alternative turco-serbe au risque de violences physiques et institutionnelles pour rejoindre l'UE » souligne le Conseil.
La Serbie a décidé de s'aligner sur la politique de l'Union européenne au sujet de la liste des pays faisant l'objet d'un visa à l'entrée. Elle imposera donc un visa aux Tunisiens dès le 20 novembre prochain. Les cas de violences commises à l'encontre des Tunisiens qui arrivent sur le sol serbe ne sont pas récents. En 2013 le ministère des Affaires étrangères avait émis des inquiétudes concernant les procédures frontalières coercitives et les interrogatoires imposés aux touristes tunisiens malgré l'accord bilatéral entre les deux pays, qui stipule l'exemption de visa pour les titulaires de passeports ordinaires. Le ministère avait dû coordonner avec l'ambassade de Tunisie à Belgrade pour intervenir auprès des autorités serbes et faciliter les rapatriements.
Aujourd'hui et devant la montée de la violence que rapportent les migrants et les associations opérant sur la frontière serbo-hongroise, les autorités tunisiennes restent prudentes et avares en prise de position. Ce n'est qu'après l'ampleur qu'a pris la polémique que le directeur général de la diplomatie au sein du ministère des Affaires étrangères, Mohamed Trabelsi a affirmé que les autorités tunisiennes avaient contacté les autorités serbes au sujet des Tunisiens se trouvant à l'aéroport de Belgrade, capitale de la Serbie. L'ambassade tunisienne a été notifiée de la présence de 26 citoyens, le samedi 29 octobre 2022. Mohamed Trabelsi a affirmé que 21 des 26 Tunisiens ont pu quitter la Serbie vers la Tunisie, soulignant que le nombre de Tunisiens entrant sur le territoire serbe ayant considérablement progressé, la Serbie a décidé de soumettre l'entrée de Tunisiens à une liste de critères jusqu'à l'entrée en vigueur du visa. Le responsable a enfin assuré qu'il n'y aurait pas de Tunisiens en état de détention « selon les autorités serbes ». Il s'agirait, selon la version officielle, d'une salle d'attente. Il a indiqué que le conseiller diplomatique auprès de l'ambassade de Tunisie en Serbie rendra visite aux Tunisiens présents sur place. Au vu des différents témoignages qui relatent les conditions d'« accueil » qui sont réservées aux Tunisiens sur place, et ne s'agissant surtout pas d'une première, il était grand temps de dépêcher le conseiller diplomatique pour savoir exactement ce qui se passe à la « salle d'attente » de l'aéroport de Belgrade.