Le discours raciste et xénophobe est désormais parole présidentielle sous l'ère de Kaïs Saïed. Le communiqué honteux publié par la présidence de la République marque une inflexion qui élève le discours raciste basique, qui existe depuis longtemps en Tunisie, en discours officiel de la République endossé par tous les Tunisiens. Dans le cadre d'une réunion du conseil de sécurité nationale, la République tunisienne adopte, allégrement, l'ineptie appelée théorie du grand remplacement. Le président demande même à ce que « des mesures urgentes soient prises pour endiguer ce flux ». L'un des fans de cette triste théorie, Eric Zemmour, ne s'y est pas trompé et a vite fait d'exprimer, via Twitter, son soutien aux propos du président Kaïs Saïed. C'est dire si les grands esprits se sont rencontrés. Le discours présidentiel était farfelu, décousu et inconsistant. Aujourd'hui il devient abject. Le président de la République s'est saisi de la vague raciste qui a pointé son nez dans notre pays et a surfé dessus magistralement. C'était magistral car l'on ne compte plus le nombre de personnes et de commentaires qui ont salué le communiqué présidentiel et qui ont appelé à des mesures ultra-répressives contre les migrants subsahariens en Tunisie. Kaïs Saïed a, encore une fois, excité ce qu'il y a de plus vil, de plus bas et de plus dégueulasse dans les esprits tunisiens. Ceux qui croient que la « composition démographique » de la Tunisie peut être encore plus moche qu'elle ne l'est aujourd'hui. Après avoir suscité chez la populace une soif de sang et de vindicte à travers les arrestations de personnalités publiques de façon illégale, Kaïs Saïed s'est employé à nourrir la haine de l'autre, à alimenter la peur de l'étranger, de la différence, en évoquant un obscur plan de colonisation ourdi par on-ne-sait-qui depuis le début du siècle. Bien évidemment, d'autres parties obscures auraient perçu des sommes astronomiques pour mettre ce plan en application. Une autre fable racontée par la page de la présidence de la République. Une fable qui susciterait des rires si ce n'est le tragique de ce qu'a osé proférer cette institution.
Il est honteux que le racisme, qui est un crime puni par la loi en Tunisie, soit élevé au rang de parole d'Etat. Devoir argumenter pour contrer le racisme est, en soit, une honte pour ce pays, ses citoyens et ses représentants. Pourtant féru d'Histoire, le chef de l'Etat n'est pas sans savoir que la Tunisie n'aurait jamais pu se construire, construire son identité et être ce qu'elle est aujourd'hui sans l'apport de l'autre, sans la richesse fournie par cet étranger que l'on se met aujourd'hui à stigmatiser. Surfant sur cette vague puante, le pouvoir tunisien insulte des milliers d'années d'Histoire. Mais le président doit estimer que ce n'est pas un prix cher payé contre le fait d'augmenter sa popularité auprès d'un peuple en qui le racisme est enraciné. Dans cette optique, la Tunisie ne fait pas exception à la règle : un régime populiste est généralement raciste. Le chef de l'Etat aura au moins eu le génie de trouver un sujet qui unit une vaste majorité de Tunisiens hypocrites et incultes. Claire Martin disait : « Le racisme est bien l'infirmité la plus répugnante parmi les diverses laideurs de l'humanité ». Nous, en Tunisie, nous avons fait de cette laideur l'objet d'une réunion du conseil de la sûreté nationale. Tous les témoins muets et les complices de ce régime sont désormais dévisagés et leur image nous parvient claire comme de l'eau de roche. Cela doit être glorifiant d'être les ministres et les responsables d'un régime xénophobe. On se doit également de remercier la présidence de la République pour ce communiqué honteux car il a permis l'éclosion, dans divers espaces y compris virtuels, de tous ces petits esprits racistes qui se sont exprimés sur la question. Cela a permis d'y voir plus clair dans ce paysage et, aussi, de voir la dégringolade morale de personnes que l'on pensait respectables. Après avoir divisé les Tunisiens, le chef de l'Etat s'emploie à en dresser une partie contre les ressortissants d'autres pays qui n'ont d'autre tort que celui d'être noirs. Il est vrai que le communiqué évoque une identité arabo-musulmane, largement fantasmée du reste, mais il suffit d'ouvrir un livre de géographie pour comprendre que beaucoup de pays subsahariens parlent, aussi, arabe et sont musulmans. Donc le problème est la couleur, non la provenance où l'identité. Quelle serait la réaction des Tunisiens et de leurs autorités si jamais un tel communiqué était publié par l'Elysée ou par le conseil italien ? Que dire si l'Italie considérait le fait que près de 18 mille Tunisiens soient arrivés sur ses plages clandestinement rien qu'en 2022 soit une tentative de colonisation ? Dans quelle position se trouvent les milliers de Tunisiens qui vivent et qui travaillent dans ces pays subsahariens et au milieu de gens accusés de vouloir coloniser la Tunisie obéissant à un plan qui date de plus de vingt ans ? Apparemment, ces interrogations n'ont pas traversé l'esprit du rédacteur du communiqué présidentiel du 21 février, tant il était pressé de fournir de la chair fraiche aux populistes. Seul point de lumière dans ce sombre déclin de la République, le fait qu'il existe, toujours, d'authentiques défenseurs des valeurs et des droits universels. Certes ils sont aujourd'hui endoloris par ce triste communiqué, mais le fait de savoir qu'ils existent encore a quelque chose de réconfortant. Toutefois, ils sont seuls face à l'abject.