La ségrégation raciale ne touche pas que la communauté subsaharienne : même les Noirs de Tunisie, qui constituent 15% de la population tunisienne, subissent des discriminations C'est la question que nous nous sommes posée et que nous avons posée aussi à différents protagonistes à l'issue de l'élimination de l'équipe nationale tunisienne de la CAN 2015 au cours d'un match l'ayant opposée à l'équipe équato-guinéenne. Des fans ont manifesté leur racisme par des agressions abjectes à l'encontre de la communauté subsaharienne à telle enseigne que cela a fait réagir l'Association des étudiants et stagiaires africains en Tunisie (Aesat) qui a appelé ces derniers à la prudence. «En raison de cas de bagarres et d'agressions recensées suite au match qui opposa la Tunisie à la Guinée équatoriale et dans un souci de sécurité, nous demandons à tous les communautaires de rester chez eux dans la nuit de samedi à dimanche 1er février», souligne en l'occurrence le communiqué de l'Aesat. «Ce qui s'est passé ne fait pas honneur aux Tunisiens surtout pas à un peuple qui a fait la première révolution pacifique en Afrique. Ces agressions racistes vont à l'encontre des principes et des valeurs de notre révolution. Nous les condamnons fermement. Mais nous essayons d'expliquer ces actes par le fait que les conditions du match et notamment le comportement de l'arbitre ont fait sortir certains fans de leurs gonds», martèle le sociologue Tarak Belhaj Mohamed. Des actes impunis Les membres de la communauté subsaharienne se plaignent de racisme et de marginalisation. Plusieurs étudiants rapportent qu'ils sont victimes d'actes de racisme quotidiennement. Plusieurs incidents surviennent mais sont considérés comme des cas isolés. Les discriminations raciales ont augmenté depuis la révolution. Le laxisme des autorités aidant, les actes de xénophobie restent impunis. Tarak Belhaj Mohamed ne nie pas la ségrégation raciale qui existe bel et bien dans «notre culture et notre langage». «Même si on veut faire un compliment à un Noir on adopte un langage péjoratif, par exemple on appelle «ka7la» ou «négritou» pour un garçon et «Oussifa» pour une fille. Nous continuons à hériter d'un langage et d'un comportement archaïques alors que la Tunisie a été le premier pays dans l'histoire arabe et africaine à émettre une loi anti-apartheid précédant de la sorte des pays développés comme la France et les Etats-Unis. Dans ce sens, la loi est claire mais parfois, on assiste à des récidives dues à un imaginaire collectif à condamner bien sûr», relève-t-il, en substance. D'autre part, les étudiants subsahariens se plaignent aussi d'autres formes de ségrégations. La Presse en date du 24 juin 2014 rapporte qu'«entre le 19 et 20 juin, 700 étudiants subsahariens ont dû payer une amende d'au moins 300 DT à l'aéroport de Tunis avant de rentrer chez eux et ce, pour avoir séjourné quelques mois en Tunisie sans papiers. Sauf que la faute revient à l'administration tunisienne qui a pris 6 à 7 mois de retard pour leur délivrer leurs cartes de séjour définitive». Les diplômes obtenus dans les établissements scolaires ne sont pas reconnus par l'Etat tunisien. Sans compter qu'un étudiant subsaharien doit payer deux fois plus cher ses études. Les Noirs manquent de visibilité Mais la ségrégation raciale ne touche pas que la communauté subsaharienne, même les Noirs de Tunisie qui constituent 15% de la population tunisienne subissent des discriminations selon l'Association de défense des droits des noirs (Adam). «Les politiques, la société civile et l'élite doivent désavouer ce qui s'est passé et transmettre des messages antiracistes au reste de la population. Il y a 60 ans, certaines personnes disposaient d'état civil ne comportant pas de nom de famille propre et étaient inscrites sous le nom de «Abid de...» autrement dit «esclave de...». Malgré l'avant-gardisme de la loi, l'Etat n'a pas donné de signes forts à l'égard des minorités. Les Noirs manquent de visibilité. La preuve, on ne voit pas de journalistes à la peau noire aux journaux télévisés, encore moins un ministre ou un ambassadeur. C'est comme si ces gens ne pouvaient pas nous représenter», relève le sociologue et d'ajouter que même dans les représentations artistiques, le personnage de «Boussaâdiya» est considéré comme un bouffon pour faire rire la galerie. Dans le domaine de la musique, le «Stambali» ne fait pas partie de la culture officielle, il est marginalisé et classé comme folklore. «Les Noirs perçoivent qu'ils sont marginalisés alors qu'ils contribuent à l'instar des minorités berbère, amazighe et juive à l'enrichissement multiculturel de la Tunisie qui a réalisé la première Constitution à l'époque d'Hannibal et le premier pays qui a aboli l'esclavage. La loi condamne toutes sortes de discriminations. Le problème n'est pas situé à ce niveau-là. Toutefois, je reste convaincu que le Tunisien n'est pas au fond raciste», conclut Tarak Belhaj Mohamed.