Cinquième jour du ramadan, cinquième jour sans activité présidentielle. Quand on voit comment fonctionne le monde d'aujourd'hui, force est de constater qu'il est extrêmement rare de trouver un chef de l'exécutif rester, autant de temps, sans fournir d'informations sur son travail. Dans les nations les plus développées, on suit l'actualité présidentielle à la loupe, heure par heure. On sait qui il a reçu, avec qui il a rendez-vous et où il va aller. Aux Etats-Unis, on a même des comptes rendus des réunions présidentielles. Le nôtre observe le jeûne aux sens propre et figuré. Certes, son silence est préférable à ses messages à deux balles et à ses décisions catastrophiques, mais il n'en demeure pas moins qu'un président a l'obligation d'être à l'écoute de son peuple, de ses problèmes et de ses attentes. Il se doit d'apporter des solutions concrètes à son pays, surtout quand celui-ci est devenu sujet de préoccupation internationale. En matière de solutions apportées par Kaïs Saïed depuis qu'il s'est accaparé les pleins pouvoirs en juillet 2021, la réponse tient en un seul et unique mot : rien. Kaïs Saïed n'a apporté aucune solution concrète à ne serait-ce qu'un problème des Tunisiens et de la Tunisie. Absolument aucune. Ses partisans ont beau l'encenser du matin au soir, ils ne peuvent pas dire le contraire. Il a beau prétendre que ce qui s'est passé après le 25 juillet 2021 est un miracle, le miracle est qu'il ait pu rester autant de temps à la présidence sans se prévaloir d'un seul résultat tangible.
Voici une liste non exhaustive des problèmes du peuple : - Les employeurs suffoquent sous la pression fiscale, la crise économique, la lâche démission de leur centrale patronale, l'absence de visibilité, la faible croissance, le déficit et la stigmatisation. Ceci a une incidence directe sur la croissance et l'employabilité. Théoriquement, ils devraient recevoir des assurances du pouvoir. En lieu et place, ils sont désignés du doigt et assimilés, en tant qu'hypothétiques nantis, à des corrompus et des spéculateurs. - Les Sfaxiens subissent depuis plus d'un an le problème des ordures. Ils ont fini par s'adapter devant l'absence de solution durable et concrète. - Les Zarzissiens ont vu leurs enfants mourir en pleine mer, puis enterrés anonymement. Malgré leurs appels, ils n'ont même pas eu droit à une visite présidentielle. Pire, ils ont eu droit à des intox. - Une inflation à 10,4% et elle est sous-estimée a priori. L'inflation alimentaire est abyssale et tourne autour de 15,6%. Pire pour certaines denrées comme les œufs (32%), les viandes ovines (29,9%), les volailles (25,3%), les huiles alimentaires (24,6%) et les viandes bovines (22,9%). - Des pénuries de plusieurs produits, parfois de première nécessité, dont des dizaines de médicaments. - Rationnement de l'eau potable, depuis quelques jours, sans aucune communication officielle sur le sujet. - Manque de confiance en la justice, après la mise au pas des magistrats, la parution de décrets liberticides, l'ingérence du pouvoir exécutif dans le pouvoir judiciaire et l'emprisonnement de plusieurs personnalités politiques sur la base de rapports de police orientés. - Anéantissement de toute activité politique digne de ce nom.
Il n'y a pas que les Tunisiens qui ont des problèmes, l'Etat en a un lot également. Voici une liste non exhaustive de ses problèmes : - Un déficit budgétaire de 23 milliards de dinars qui ne peut être comblé que par des crédits. - Impossibilité d'appliquer la réalité des prix en raison d'une politique sociale basée sur la compensation. - Evasion fiscale importante sans solution concrète pour l'anéantir, ni même la réduire. - Incompatibilité entre le programme décidé par le gouvernement et celui imposé par le président de la République. Ceci fait que le gouvernement ne peut plus appliquer son propre programme tel qu'établi dans sa loi de finances 2023, ni entamer son processus de réformes promis au FMI. - L'endettement de l'Etat a atteint des niveaux élevés (officiellement de 78,5% du PIB, mais probablement supérieur à 100% du PIB) jamais atteints auparavant. - Le dinar maintenu à son taux d'une manière artificielle à la faveur d'un soutien massif de la Banque centrale. - Chute vertigineuse de la notation souveraine. - Image désastreuse du régime à l'international, à cause de l'absence de démocratie, de la politique répressive, des détentions abusives, des déclarations présidentielles assimilées à du racisme et du risque d'effondrement économique. - Relations tendues avec les pays du voisinage. - Absence totale de visibilité et de planification sérieuse à court, moyen et long terme.
Après la révolution, la Tunisie et les Tunisiens ont réussi à dégager, à l'international, une image des plus sympathiques. Rappelez-vous le Prix Nobel de la Paix, le Béji Caïd Essebsi qui s'amusait à Davos et blaguait avec Barack Obama ou encore nos doigts bleus à la sortie des bureaux de vote. Non seulement cette image n'est plus, mais pire la Tunisie suscite désormais l'inquiétude des uns et la pitié des autres. Elle est devenue objet de communiqués alarmistes des plus grandes puissances internationales. Cette nouvelle image est le fruit exclusif de la politique menée par Kaïs Saïed depuis le 25 juillet 2021. Il a beau se justifier et accuser d'hypothétiques comploteurs, le fait est là, l'image est mauvaise et la situation désastreuse. Il a beau mettre en prison ses critiques, le fait est là, la situation ne s'est pas améliorée. C'est connu, aucune situation ne s'améliore quand on casse le thermomètre ou que l'on bâillonne le médecin. Plutôt que de travailler à résoudre les problèmes urgents des Tunisiens et de l'Etat, Kaïs Saïed regarde ailleurs et a ses propres priorités. Son activité principale de la semaine était de pencher sur le centre international de calligraphie qu'il entend ériger. Non, ce n'est pas une blague. Le peuple souffre, l'Etat souffre et Kaïs Saïed parle de calligraphie à une époque où le clavier est roi. Un clavier lui-même menacé par la commande vocale et l'intelligence artificielle. Arrivera un moment où ce manège qu'on observe à la tête de l'Etat tunisien devra cesser. Arrivera un moment où les Tunisiens vont finir par se rendre compte que le danger qui les guette vraiment, n'est pas une fiction à la télé, mais un déconnecté au palais.