Vendredi prochain, nous célébrerons le départ de l'année 2021. Bon débarras. Les années se suivent et se ressemblent avec ce Covid qui persiste, cette crise politique qui perdure et ce marasme économique qui s'éternise. On pensait avoir atteint le pire avec 2020, mais 2021 n'a pas été meilleur. 2022 le sera-t-il ? Je ne parierai pas gros là-dessus. Restons optimistes et bonne année à tous, quand même. 2021 a commencé avec Kaïs Saïed en visite non inopinée au ministère de l'Intérieur pour réveillonner aux côtés des forces de l'ordre en ce 31 décembre 2020. Constitutionnellement, le chef de l'Etat n'avait pas à aller au ministère de l'Intérieur, département hiérarchiquement dépendant du chef du gouvernement. C'était même plus délicat puisque le ministre de l'Intérieur était lui-même le chef du gouvernement. Au nom de la séparation des pouvoirs et si l'on suit le principe de la constitution qui imposait un équilibre entre les trois têtes de l'Etat (présidence, gouvernement, parlement), le président de la République ne devait pas aller au ministère de l'Intérieur. Kaïs Saïed a cependant envoyé balader tout le monde et y est allé. Il a même défié toute la classe politique et la constitution en s'autoproclamant chef commandant suprême des forces armées, militaires et sécuritaires. On avait beau lui dire que la définition des forces armées n'englobe que les militaires, Kaïs Saïed n'en a fait qu'à sa tête. Ce qui aurait dû être considéré comme un affront à l'Etat et provoquer une levée de boucliers a été passé sous silence. Hichem Mechichi, alors chef du gouvernement, tout comme Rached Ghannouchi, président du parlement, ont considéré Kaïs Saïed comme un fou, atteint par un syndrome hégémonique. S'il veut s'attribuer ce titre, grand bien lui fasse. Ils l'ont laissé faire ne voyant ainsi aucun danger dans les propos présidentiels. Au pire, se disaient-ils, on va le « tartouriser » (ridiculiser) comme cela a été fait en 2012-2014 avec Moncef Marzouki.
L'Etat est par terre entouré de rapaces De la parole, le duo Mechichi-Ghannouchi est passé aux actes. Ils ont mis à l'écart un président de la République qui, de toute façon, ne voulait pas les recevoir. A la Kasbah, Hichem Mechichi faisait ce qu'il voulait sans tenir compte de l'avis présidentiel. Au Bardo, c'était le cirque. Pas un jour ne passe sans qu'il y ait un incident entre les groupes parlementaires islamistes, soutenant le gouvernement, et l'opposition essentiellement représentée par Attayar et le PDL. Rached Ghannouchi et son toutou Samira Chaouachi violaient allègrement le règlement intérieur de l'assemblée au grand dam de l'opposition. Si jamais un membre de cette opposition ouvre le bec, il était tout de suite injurié et insulté par les Seïf Eddine Makhlouf, Abdellatif Aloui, Maher Zid, Rached Khiari… On est arrivé jusqu'aux agressions physiques de cette opposition et on se rappelle encore comment le député Attayar Anoaur Bechahed a été blessé au visage, comment la députée Samia Abbou a été jetée par terre (décembre 2020), cette gifle donnée par l'islamiste Néji Jmal en mars 2021 à la députée PDL Zeineb Sefari. On a atteint le summum ce 30 juin 2021 avec une gifle, donnée par Sahbi Smara, et un coup de pied donné par Seïf Eddine Makhlouf à Abir Moussi. Dans les palais de Justice, c'est le souk. Si tu es proche du pouvoir, tu as l'immunité et tu es tranquille, quels que soient les plaintes déposées contre toi. Vous vous rappelez des magistrats Taïeb Rached, premier président de la cour de cassation et samsar (promoteur immobilier) à ses heures perdues ou de Béchir Akremi, procureur qui aurait étouffé quelque 6268 dossiers terroristes ? Si tu fais partie de la classe au pouvoir, tu as l'immunité de fait. Tu peux insulter, voler, agresser, aucun juge ne te poursuivra. -Monsieur le procureur es-tu là ? - Zzzzzzzzzzz. Il dormait ! La police, pour sa part, elle suit les ordres de la hiérarchie politique, au gré des vents. Tu peux faire l'objet d'un mandat d'amener émis par un juge, sans pour autant être inquiété. Tu peux même assister aux travaux de l'assemblée, la police ne te trouvera pas pour autant. Vous vous rappelez de Rached Khiari et de Maher Zid ? Les caisses de l'Etat sont vides, l'économie est sclérosée et les vrais investisseurs sont à l'arrêt. Concurrencés par les nouveaux cartels et la concurrence déloyale du commerce informel, ils préfèrent attendre. Quant à l'administration, elle est infiltrée par les nuls, dès lors qu'ils sont parachutés par la caste au pouvoir. Vous vous rappelez d'Olfa Hamdi, nommée le 4 janvier 2021 à la tête de Tunisair, alors qu'elle n'a absolument aucune expérience managériale dans le secteur ? Et pour ne rien arranger, on était, comme le reste de la planète, frappés par le Covid. Les contaminations se comptaient par milliers, les morts par centaines et il n'y avait pas de vaccins. Il a fallu lancer un SOS international, comme le ferait n'importe quel Etat sous-développé, pour que les pays amis viennent à notre secours. En cette année 2021, chaque fois qu'on atteint le fond, on creuse encore. Chaque fois qu'on pense arriver au pire, on constate qu'il y a pire encore. Et le summum fut atteint fin juin 2021 avec la pression exercée par Ennahdha sur le gouvernement pour obtenir quelque trois milliards de dinars (soit 3% du PIB) afin d'indemniser ses militants ayant souffert sous l'ancien régime. Quand on additionne l'indécence à la cupidité, on obtient le profil type d'un islamiste nahdhaoui. Ou plutôt d'un islamiste tout court. Le 30 juin 2021 coïncide avec la mi-2021. Cette journée était noire avec la médiatisation du scandale des 6268 dossiers étouffés de Béchir Akremi et la double agression de Abir Moussi. Malgré tous ces problèmes, le président de la République parlait ce jour-là de la constitution de 1959, alors que Hichem Mechichi était chez lui, atteint du Covid. L'Etat tunisien, en cette mi-2021, ressemblait à un grand corps malade et épuisé jeté aux confins d'un désert avec des dizaines de rapaces autour de lui.
Le 25-Juillet salvateur Trop, c'est trop, il fallait mettre un terme à tout cela, il fallait sauver le pays. Il fallait un homme courageux, un homme de la trempe de Bourguiba ou de Poutine pour redonner sa grâce et sa gloire à cet Etat déchiqueté. Le 25 juillet, au matin, des milliers de Tunisiens sont sortis manifester leur colère contre les dirigeants au pouvoir, devant les moqueries des islamistes logés dans leur tour d'ivoire, jouant le déni total. Le 25 juillet, au soir, un homme répondit à l'appel. S'il en fallait un, c'est celui-là, c'est le président de la République, c'est Kaïs Saïed. C'est le miracle. Malgré le couvre-feu imposé par le Covid, les gens sont sortis par centaines, pour klaxonner et lancer des vivats. Vive Kaïs Saïed, vive notre sauveur, vive celui qui va rétablir le prestige de l'Etat et remettre les islamistes à leur place qu'ils n'auraient jamais dû quitter, la prison. Peu importe son interprétation fallacieuse de l'article 80, puisqu'elle nous sert et dessert les assassins de notre Tunisie. La nuit du 25 juillet 2021 était assurément la meilleure nuit de l'année des Tunisiens (à l'exception des islamistes). On a rêvé de lendemains qui chantent, on a rêvé d'une Tunisie assainie des corrompus, on a rêvé d'une économie retrouvant ses années d'essor et d'un Etat retrouvant sa gloire. Kaïs Saïed, en ce 25 juillet 2021 était le Zine El Abidine Ben Ali du 7 novembre 1987, le Nelson Mandela du 10 mai 1994, le Vladimir Lénine du 8 novembre 1917, le Vladimir Poutine du 7 mai 2000. Le 26 juillet, au matin, on attendait impatiemment la composition du gouvernement et la convocation d'élections anticipées, comme un bébé attend son lait. Puis, le 27, puis le 28, puis le 29. Puis vint le mois d'août, puis vint le mois de septembre et toujours rien à l'horizon. Finalement, enfin, la fumée blanche s'est dégagée dans le ciel très gris en ce 11 octobre. La cheffe du gouvernement (une première dans le monde arabe nananère) Najla Bouden dévoile son équipe.
Pire qu'avant finalement Ça y est, c'est la fin de nos problèmes ? Non, car la dame n'a fait aucune promesse. On ne connait quasiment pas sa voix et elle ne s'est quasiment jamais adressée au peuple. Elle n'a de compte à rendre qu'à son président, pas au peuple. Elle refuse de rencontrer des journalistes, elle refuse de dévoiler son programme, elle refuse de donner vie à nos rêves de la nuit du 25 juillet. Pendant ce temps-là, le président n'en fait qu'à sa tête et poursuit la politique désastreuse suivie par ses prédécesseurs. Dans les palais de justice, c'est toujours le souk. Pire, il a atteint les tribunaux militaires. Ainsi, on emprisonne les gens juste par suspicion ou pour des faits fallacieux. On les assigne à résidence quand on veut et on leur interdit de voyager quand on veut. Comme avant le 25-Juillet, la police n'arrive pas à trouver Rached Khiari et un tas d'autres islamistes faisant l'objet de mandats d'amener émis par des juges. Comme avant le 25-Juillet, Taïeb Rached et Béchir Akremi ne sont pas inquiétés et continuent de jouir de leur liberté. Comme avant le 25-Juillet, la radio du Coran continue à émettre sans autorisation et son directeur Saïd Jaziri continue à jouir de sa liberté, malgré les nombreux recours judiciaires contre lui. Idem pour la chaîne tv islamiste Zitouna TV. Comme avant le 25-Juillet, la police sabote les manifestations de l'opposition. Comme avant le 25-Juillet, les caisses de l'Etat sont vides. Comme avant le 25-Juillet, l'administration est infiltrée par les nuls, dès lors qu'ils sont parachutés par Kaïs Saïed au pouvoir. Vous connaissez, je suppose, les gouverneurs de Bizerte ou de Ben Arous. Hein qu'ils vous rappellent les clowns du cirque ? Pire qu'avant le 25-Juillet, il n'y a plus de cirque à l'assemblée, puisqu'il n'y a plus d'assemblée du tout. La Tunisie, de l'après 25-Juillet, est l'unique pays au monde à ne pas avoir d'assemblée. Pire qu'avant le 25-Juillet, il a fallu attendre fin décembre pour qu'on lise la Loi de Finances (toujours pas publiée dans le Jort à ce jour) passée sans aucun débat public. Une première dans l'Histoire de la Tunisie. Pire qu'avant le 25-Juillet, l'Etat ne trouve plus de prêteurs. Pire qu'avant le 25-Juillet, notre constitution va être rédigée par trois lèches-bottes et non par 217 représentants de la Nation. Pire qu'avant le 25-Juillet, nous avons des gouvernants qui ne rendent pas de comptes, qui ne parlent pas avec la presse et qui ne parlent pas avec le peuple. Avant le 14 janvier 2011, nous avions une mafia. Avant le 25 juillet 2021, nous avions des mafias. Après le 25 juillet, nous avons des idiots qui agissent comme des mafias. Pire qu'avant le 25-Juillet, nous avons un président qui jure sur le sacro-saint Coran de respecter la constitution et ne tient pas parole. Chez les fidèles musulmans, qu'ils soient pratiquants ou pas, ce parjure s'apparente au pire des sacrilèges. On peut jouer avec tout, mais pas avec le coran !
Rêvons encore ! Bref, cette année 2021 porte à sa fin et on ne peut que nous réjouir de la voir partir. Elle a renfermé tellement de chocs, tellement d'outrages et tellement de déceptions. L'année 2022 sera-t-elle meilleure ? Avec tout ce qu'on a subi en 2021, on ne devrait pas avoir déjà atteint le pire ? En l'absence de toute visibilité, en l'absence de tout programme de la caste dirigeante et au vu de l'état actuel des caisses de l'Etat et de l'économie, il nous faut un second 25-juillet. Un second miracle. Quelqu'un pour nous sauver de la bêtise de nos dirigeants et rendre sa superbe à notre Etat. Le rêve est permis, la Tunisie a toujours rebondi quand ça allait mal. Surtout quand ça allait mal. L'année 2022 pourrait ressembler à 1956, à 1987, à 2011 et même à 2021 (25 juillet). Un Tunisien ou Tunisienne viendra pour rétablir le prestige de l'Etat et ôter du paysage ces islamistes et ces imbéciles qui n'auraient jamais dû occuper un jour le pouvoir. Rêvons, puisqu'il n'y a que ça qui est encore permis.