Les autorités tunisiennes étudient la possibilité d'élaborer une loi renforçant le contrôle et la censure au niveau des réseaux sociaux. Après avoir promulgué un décret répressif en septembre 2022, une réunion ministérielle, portant sur la lutte contre les crimes liés aux réseaux sociaux, s'est tenue le 4 avril 2023. À l'origine de cette malheureuse initiative, se trouve la question de l'état de santé du président de la République, Kaïs Saïed. Ce dernier n'avait pas fait de visites inopinées ou de discours durant plus de dix jours consécutifs. Un phénomène rarement observé en Tunisie depuis l'annonce des mesures exceptionnelles du 25 juillet 2021. Le chef de l'Etat avait réussi, depuis cette date-là, à monopoliser non seulement le contrôle du pays, mais aussi la représentation officielle de l'Etat et l'espace public. L'unique moyen d'avoir une idée sur le futur du pays était d'écouter ses incontournables allocutions. Leur importance est primordiale du fait qu'ils apportent des explications à certains faits et phénomènes politiques en plus de nous éclairer au sujet des décisions futures du Président. Le Président avait rendu les Tunisiens accros à ces discours et à ses déclarations enflammées. Après avoir complètement disparu du paysage politique pendant plusieurs jours, le président de la République a refait surface. Il a indiqué s'être absenté pour deux ou trois jours en raison d'un simple rhume et a tenu à démentir toute information créant des doutes autour de son état de santé ou sa capacité à gouverner. Ceci résulte des innombrables déclarations médiatiques et publications circulant sur les réseaux sociaux à ce sujet. Certains ont évoqué un malaise et une dégradation de la santé de Kaïs Saïed. Ils ont même appelé à l'annonce de la vacance définitive et permanente à Carthage. Du côté des soutiens au chef de l'Etat, on évoque une simple retraite temporaire. Il s'agirait d'une habitude liée au mois de ramadan. Le chef de l'Etat aurait, seon eux, coutume de s'isoler un peu du monde extérieur pour prier et lire le coran. Bien évidemment, le président de la République a surpris tout le monde en fournissant cette explication remettant en question la crédibilité de ses soutiens. Il a, d'ailleurs, profité de l'occasion pour lancer les piques et les accusations habituelles à l'opposition et à ses détracteurs. La vacance, selon lui, serait dans leur imaginaire et non au niveau de la présidence. Il a, également, appelé à l'application de la loi, à la poursuite et à la sanction des personnes responsables de ces rumeurs ayant, comme il l'a toujours prétexté, pour ultime but de porter atteinte à la stabilité du pays et à sa sécurité. Toutes ses affirmations ont eu lieu sous le regard complice de la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, présente lors d'un entretien avec le Président. Dans la vidéo relayant l'allocution de Kaïs Saïed, on la voit, fidèle à ses habitudes, silencieuse et se contentant de quelques « inchallah » et « oui monsieur le Président ». Optant pour la politique du silence, Najla Bouden, n'a toujours pas accordé de déclaration aux médias tunisiens depuis sa nomination en octobre 2021. Par son attitude, elle a soutenu le président de la République, lors de la promulgation du décret-loi n° 2022-54 du 13 septembre 2022, relatif à la lutte contre les infractions se rapportant aux systèmes d'information et de communication. Ce texte a représenté une véritable secousse politique. Il apporte plusieurs notions floues et pouvant faire l'objet de multiples interprétations. De plus, les sanctions introduites par cette loi ont été qualifiées d'assez lourdes. Selon l'article n° 24 du décret-loi : « Est puni de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de cinquante mille dinars quiconque utilise sciemment des systèmes et réseaux d'information et de communication en vue de produire, répandre, diffuser, envoyer, ou rédiger de fausses nouvelles, de fausses données, des rumeurs, des documents faux ou falsifiés ou faussement attribués à autrui dans le but de porter atteinte aux droits d'autrui ou porter préjudice à la sûreté publique ou à la défense nationale ou de semer la terreur parmi la population. Est passible des mêmes peines encourues au premier alinéa toute personne qui procède à l'utilisation de systèmes d'information en vue de publier ou de diffuser des nouvelles ou des documents faux ou falsifiés ou des informations contenant des données à caractère personnel, ou attribution de données infondées visant à diffamer les autres, de porter atteinte à leur réputation, de leur nuire financièrement ou moralement, d'inciter à des agressions contre eux ou d'inciter au discours de haine. Les peines prévues sont portées au double si la personne visée est un agent public ou assimilé ». La durée de la peine privative de liberté correspond à plus du double de la peine prévue par l'article n°217 du code pénal en cas d'homicide involontaire. L'amende à payer, quant à elle, correspond à plus de cent fois le Smig tunisien. Des mesures théoriquement assez dissuasives. Que dire alors de l'alourdissement des peines en raison de la qualité de la victime ? Dans le cas où la personne visée serait un agent public ou assimilé (fonctionnaire, ministre ou encore président) la peine de prison passe de cinq à dix ans, soit presque la même peine prévue par le code pénal pour les personnes ayant intégré une association de malfaiteurs. Celle-ci est de douze ans. La sanction pécuniaire est, elle aussi, doublée et atteint cent mille dinars, soit selon certains, le coût de formation d'un ingénieur tunisien. Il s'agit de sanctions assez importantes pour ne pas dire exagérées. Les fausses informations, en général, continuent à circuler sur les réseaux sociaux. L'échange d'insultes et d'accusations est devenu monnaie courante sur Facebook ou sur YouTube. Nul ne semble prêter d'attention à ce texte de loi. Peut-être en raison de son application par le pouvoir en place. Les personnes concernées, en général, sont des politiciens et des journalistes. Le Tunisien lambda ne se soucie pas de la chose. Il pense sûrement ne pas être concerné par ce décret ou estime que la Tunisie, comme tout autre pays qui se respecte, n'envisage pas de peine de prisons pour ce genre de chose. D'ailleurs, avons-nous eu vent, dans le passé, de l'emprisonnement d'un citoyen ayant propagé des rumeurs au sujet du président français, américain, du chancelier allemand ou d'un même de la famille royale britannique ? Evidemment que non. La vénération de la personne gouvernant le pays et son isolation est caractéristique des pays totalitaires et autocratiques. Mais, alors que compte faire la cheffe du gouvernement après cette réunion ministérielle ? Tout ce que l'on sait pour l'instant, via un communiqué de la Kasbah, c'est que les discussions ont porté sur la lutte contre les crimes liés aux réseaux sociaux, notamment, les pages diffamatoires et les comptes fictifs sur les réseaux sociaux, la divulgation de documents administratifs et de secrets professionnels via ces réseaux, mais aussi le piratage de pages officielles et la création de pages fictives similaires à celles des structures étatiques et des personnalités officielles. Une réunion qui survient alors que le Parquet a annoncé qu'il engageait des poursuites contre les profils et les pages ayant diffusé de fausses informations. Cela concerne les rumeurs qui ont circulé autour de l'état de santé du président de la République alors qu'il avait disparu depuis treize jours et que les autorités avaient opté pour l'opacité. Quelle pourrait être donc cette mesure permettant de mettre fin aux rumeurs et aux fausses informations ? Que pourrait-on décider de plus que ces peines injustes ? Découvrira-t-on donc, bientôt un texte de loi encore plus répressif que ce décret n°54 qui s'est caractérisé par un grand échec ? L'alourdissement des peines ne changera peut-être rien à la chose. Le gouvernement, incompris, songerait-il à recourir à la censure, au moyen de restrictions d'accès à certaines plateformes ? On pourrait alors se retrouver face à un temps d'accès limité à Internet comme c'est le cas en Iran ou bien en Russie et en Chine où Facebook est complètement bloqué. La cheffe du gouvernement a, déjà, fait ses preuves en approuvant le décret n°54 et nous avons déjà été témoins de toute l'opacité qui a entouré l'absence du Président mais aussi le contenu des négociations gouvernementales...