Bien qu'elle soit sur une pente douce, la popularité de Kaïs Saïed est encore au zénith. C'est ce que nous révèle le sondage, réalisé la semaine dernière par Emrhod Consulting - Business News – Carthage +, qui donne au chef de l'Etat 56% d'opinions favorables. S'il y avait des élections aujourd'hui, il récolterait 68,7% des suffrages et passerait dès le premier tour. Si l'on analyse ces chiffres de plus près, il est bon de rappeler que le président de la République avait 38% en juin 2021 avant de grimper en flèche à 82% au lendemain de son putsch le 25 juillet 2021. Il est descendu ensuite à 48% en décembre 2022 (concomitant avec les législatives) avant de remonter à 52%, puis à 56%, après la vague d'arrestations de personnalités politiques, bien applaudie par une frange de la population. Paradoxalement, les mêmes Tunisiens qui plébiscitent Kaïs Saïed sont inquiets de la situation économique du pays. Pour 81% d'entre eux, l'économie va mal. Ces chiffres contradictoires ne devraient pas rassurer le président de la République, si l'on suppose qu'il les lise et les analyse déjà. Il ne doit pas sa popularité à des réalisations concrètes pour son peuple, il les doit à du verbiage et des coups d'éclat médiatico-politico-judiciaires. Sur terrain, Kaïs Saïed n'a apporté aucune solution aux Tunisiens.
Pour expliquer les problèmes dont souffre le pays, le chef de l'Etat a l'habitude d'accuser les islamistes, les corrompus, les spéculateurs et les comploteurs de tous bords. Son argumentaire marche, puisque 56% continuent de l'applaudir. Sauf que l'adage dit que : « On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps » (Abraham Lincoln). Partant, Kaïs Saïed ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps. À un certain moment, ceux qui l'acclament aujourd'hui vont finir par lui demander des comptes et des résultats concrets. Au fond de lui, le président de la République sait cela. Il sait qu'il n'a rien fait, il sait que son gouvernement n'a rien fait, il sait que sa popularité est éphémère et qu'il ne la doit que parce qu'il s'en est pris à des adversaires politiques honnis par une partie du peuple. En nommant Najla Bouden à la tête du gouvernement en octobre 2021, Kaïs Saïed a mis tous ses œufs dans son panier. Il a misé sur elle et a pensé, naïvement, qu'elle allait sortir la Tunisie du gouffre. En lieu de quoi, celle-ci a aggravé tous les indicateurs et, à cause d'elle, le peuple subit des pénuries de dizaines de produits (jusqu'aux médicaments) et une inflation à deux chiffres (jusqu'à 30% dans certains produits alimentaires). Pire que tout, Kaïs Saïed affiche publiquement sa désapprobation de la politique menée par la cheffe qu'il a nommée. Pour boucler son budget, cette dernière préconise l'endettement et la privatisation, tous deux synonymes de déstabilisation sociale. Kaïs Saïed ne veut ni de l'un, ni de l'autre et invite les Tunisiens à compter sur eux-mêmes. Ses propres solutions tardent à apporter des fruits. Les entreprises communautaires ne démarrent pas et la commission de conciliation n'a apporté aucun dinar. Il a même dû limoger le président qu'il a lui-même nommé quelques mois plus tôt.
Il n'y a pas que Najla Bouden qui le déçoit. Avant elle, il a été déçu par sa cheffe de cabinet, par un nombre de gouverneurs, par le ministre de l'Intérieur, par le ministre de l'Education et par le ministre de l'Emploi. Il a lui-même nommé tous ces hauts responsables et leur échec est quelque part le sien.
Ces piètres résultats n'auraient pas trop dérangé Kaïs Saïed s'il n'y avait pas ces quelques médias qui le dénonçaient régulièrement. Certes, il a mis les médias publics sous sa coupe ; certes, il a envoyé des propagandistes pour défendre sa vision politique dans quelques médias privés, mais tous ne pèsent pas face aux médias mainstream (les plus populaires) qui le critiquent nuit et jour. Pour les (nous) faire taire, il a pondu un décret liberticide, le fameux décret 54 qui punit jusqu'à dix ans de prison les journalistes qui s'en prennent à lui et ses fonctionnaires. Son régime a poursuivi les journalistes insolents en justice et a même mis en prison le directeur de la radio la plus écoutée du pays. Sans succès, les médias les plus populaires continuent à le critiquer. Son parlement a interdit aux journalistes, la semaine dernière, l'accès aux commissions. Décision unique au monde ! Dernière action en date, l'interdiction de couvrir l'actualité des prisonniers politiques, impliqués dans les affaires dites de complot contre l'Etat. Une interdiction contraire à la Constitution et aux lois du pays, mais peu importe, on n'est plus à une violation près pour ce régime. Le sujet des affaires de complot contre l'Etat tient à cœur au président de la République. Grâce à elles, Kaïs Saïed a glané quelques points de popularité et a pu jouer les victimes devant le peuple. Il y a cependant un mais. Ces affaires sont montées de toutes pièces et ne comportent aucun fait concret, dument établi, étayant un quelconque complot et justifiant une quelconque arrestation. Ces personnalités politiques ont été injustement mises en prison, juste parce qu'elles faisaient de la politique ou du lobbying. Cette vérité ne dérange pas spécialement Kaïs Saïed (il n'est pas à une injustice près), ce qui le dérange c'est que les médias en parlent. D'où l'interdiction prononcée un week-end.
Le décret 54, les arrestations arbitraires et les interdictions frappant les journalistes reflètent clairement une seule et unique chose : le régime a peur. Il a peur des médias qui exposent, à la population, la vérité. La vérité des débats dans l'assemblée, la vérité des procès montés de toutes pièces, la vérité de l'inflation, la vérité du pays. Kaïs Saïed a peur des journalistes et c'est pour cela qu'il évite toute interview et toute conférence de presse depuis son arrivée au palais de Carthage. Les journalistes sont là pour dire les vérités au peuple et ces vérités lui font peur. Ils sont là pour étaler ses échecs et ses contrevérités et cela lui fait peur. Un président bien établi dans son pouvoir ne peut pas avoir peur de la presse. Un parlement qui n'a rien à cacher n'interdit pas aux journalistes l'accès à ses réunions. Un dirigeant convaincu de sa politique ne craint pas les séances de questions-réponses. Un dirigeant fier de ses succès se réjouit de rencontrer les journalistes. Les journalistes ne sont pas là pour leur propre pomme ou pour satisfaire leur propre égo, ils sont là pour dénoncer, critiquer et dire la vérité au peuple. Ils sont le rouage essentiel et incontournable entre le peuple et ses dirigeants. Kaïs Saïed a voulu faire de nous des propagandistes, ça n'a pas marché. Dès lors, on lui fait peur et c'est pour cela qu'il ne cesse de resserrer l'étau autour de nous. Un dirigeant qui poursuit les journalistes et leur interdit de faire leur travail est un dirigeant qui n'a pas confiance en lui-même, qui n'est pas sûr de lui, qui a peur. Pas peur des journalistes, loin s'en faut, peur de ce qu'ils représentent, peur de la vérité, peur du peuple. Au vu de toutes les arrestations, poursuites, interdictions et intimidations, il ne fait pas l'ombre d'un doute, ce régime a peur, il tremble. Il sait qu'il ne peut pas tromper le peuple tout le temps et les seuls et uniques à dévoiler les tromperies au peuple, ce sont les journalistes. Fier de vous dire et de vous promettre que ceux de Business News font et feront partie de ceux qui dévoilent les tromperies de ce régime.