« Jamais je n'aurais cru qu'un jour j'approuverai un communiqué de la présidence de la République », a écrit la fille du prisonnier politique Abdelhamid Jlassi sur sa page, suite au communiqué de Carthage réagissant à l'attaque « Déluge d'Al-Aqsa ». Ce jour-là, plusieurs personnes – fervents critiques de Kaïs Saïed – n'ont pas pu s'empêcher d'applaudir le communiqué présidentiel. Il faut avoir l'honnêteté d'avouer que la position officielle de la Tunisie est courageuse et limpide, à l'heure où plusieurs autres pays, pourtant pro-Palestiniens, ont fait montre d'une prudence assez inhabituelle. Sans pour autant aller jusqu'à se réjouir des morts israéliennes, la présidence de la République tunisienne reconnait « le droit des Palestiniens à une résistance légitime contre l'Occupation », exprimant son soutien total et inconditionnel au peuple palestinien. Dire le contraire, serait renier l'horreur d'années d'occupation israélienne des territoires palestiniens, des assassinats en masse de civils et de vol de terres en toute injustice et impunité.
S'exprimer sur le conflit Israël-Palestine a toujours été une question de principe. Il est humainement difficile et amer de se réjouir des morts humaines – la guerre est la pire des créations humaines – mais, il ne faut pas non plus enterrer l'Histoire. Connaitre l'Histoire, c'est reconnaitre, sans ambages, Israël comme cet Etat criminel qui profite de faits tragiques pour perpétuer des horreurs qui n'auraient rien à envier à l'holocauste. Connaitre l'Histoire c'est aussi reconnaitre que l'attaque du Hamas n'est qu'un acte de représailles, résultat d'années d'un génocide sans nom d'un pays pillé et piétiné dans l'impunité la plus totale. Kaïs Saïed avait condamné, hier, face à son chef du gouvernement et à ses ministres de la Défense, des Affaires étrangères, des Affaires sociales et de la Santé, et du président du Croissant Rouge, « les médias qui essayent d'induire l'opinion publique en erreur ». Il est en effet assourdissant d'assister au débat médiatique occidental face aux événements actuels. Des plateaux TV dans lesquels l'absence de personnes s'exprimant du côté palestinien est aveuglante. Un seul son de cloche, un lynchage en masse et un piétinement d'années d'histoire. Même lorsqu'il est timidement présent, l'autre son de cloche est diabolisé, crétinisé et rapidement acculé au silence. L'autre son de cloche, qui mériterait d'être écouté, rappellerait que si les Palestiniens ripostent aujourd'hui, c'est dans un acte de dernier recours. De désespoir. L'opinion publique internationale ne peut pas oublier la prison humaine que la Palestine est devenue, à cause d'années de siège, les milliers de victimes civiles, les familles, les enfants tués chaque jour dans l'indifférence la plus absolue.
En Tunisie, le génocide en Palestine n'est pas un sujet de débat. C'est une question qui fait l'unanimité et elle est déjà tranchée depuis toujours. Le sentiment d'appartenance à une Palestine qui, aussi longtemps que l'on se souvienne, a toujours été en guerre, est expliqué par plusieurs facteurs. D'abord la dimension religieuse, indiscutable, sacrée, ensuite l'idéal d'une cause qu'on s'est promis, depuis tous petits, de gagner. Ce fantasme inatteignable. Lorsque vous vous promenez en Tunisie, vous voyez des panneaux de signalisation indiquant la direction à prendre pour rejoindre Al Quds (plus de 2.400 km). Et les plus petits – ceux à qui on n'a rien expliqué – vous demandent si nous devons aimer la Palestine plus que notre propre pays. Oui car si la Tunisie joue à fond la carte du principe, d'autres pays exploitent la situation pour faire des calculs politiques de circonstance, la Russie, la Turquie, l'Iran…, profitent de ce climat de tensions pour servir leurs propres intérêts.
En réalité, en dehors de la dimension humaine et symbolique, le conflit Israël-Palestine a toujours été le terrain de guerres politiques et idéologiques de tous les côtés. Les Palestiniens, démunis, utilisés comme chair à canon, se retrouvent pris au piège entre l'horreur de l'enclume et la folie du marteau. Entre les fous de Dieu islamistes du Hamas et les fous de Dieu juifs, les civils ne font que subir. Ce sont les règles de la guerre leur dit-on, vous n'êtes que des dommages collatéraux… Dans les faits, le conflit Israélo-palestinien ne sera jamais résolu par les slogans, par les sentiments, cette attaque marque un tournant décisif dans l'histoire du conflit. Les Israéliens n'ont jamais été très enclins à la paix et les Palestiniens, eux, disposent de peu de moyens pour envisager un soupçon d'espoir. Pour espérer une survie. « Avec les sentiments, il est temps de faire appel à la raison et à l'expérience…comme nous l'ont appris toutes les expériences que nous avons payées très cher », a écrit l'éditorialiste palestinien Majed Kayyali dans son éditorial du 7 octobre. Allez demander à un Palestinien ce qu'il en pense, car en définitive, c'est son avis à lui qui compte, et non tout le sensationnalisme qu'il y a autour. Pour l'heure, cette attaque, aux retombées encore inconnues, servira à resserrer davantage l'étau sur des Palestiniens habitués à l'horreur. Elle permettra de justifier un « siège complet » de la bande de Gaza. « Nous combattons des animaux et nous agissons en conséquence […] Pas d'électricité, pas de nourriture, pas de gaz, tout est fermé », avait déclaré le ministre israélien de la Défense, Yoav Gallant. Ceci ne changera pas grand-chose du quotidien palestinien. Encore un prétexte à l'injustifiable…