Octroyer des avantages à une certaine frange de la population est une pratique périlleuse qui nécessite parcimonie et tact pour éviter de créer, chez ceux qui ne bénéficient pas de cet avantage, un sentiment de discrimination, et donc de frustration. Ceci est loin d'avoir été respecté lorsque les élus de la République ont voté pour le changement du régime du FCR en faveur des Tunisiens résidant à l'étranger permettant ainsi à ces derniers de faire valoir cet avantage, une fois tous les dix ans, et non plus une seule et unique fois. Il faut dire que c'est une polémique récurrente, à l'examen de chaque loi de finances. On reparle toujours du FCR et des modalités de son attribution aux Tunisiens résidant à l'étranger (TRE). Avec les difficultés des Tunisiens et l'érosion de leur pouvoir d'achat, la discrimination se fait plus durement ressentir. En plus, cet amendement de la loi régissant le FCR porte en son sein une aberration : à la base, il s'agit d'un avantage octroyé aux Tunisiens qui décident de rentrer définitivement au pays, c'était même pensé comme une sorte d'incitation pour qu'ils franchissent ce pas. Aujourd'hui, la question du retour définitif se trouve complétement détachée de cet avantage avec l'amendement qui a été fait. Il est évident que l'on ne peut pas rentrer définitivement dans son pays…tous les dix ans. En plus, l'octroi de cet avantage sonne comme une incitation pour partir à l'étranger à l'heure où la Tunisie souffre de la fuite de ses cerveaux et de la désertification de ses compétences. Un ingénieur parti à l'étranger aura bien plus de chances et de facilités à acheter et à ramener une voiture que son homologue resté au pays pour servir dans la fonction publique par exemple. Cet amendement du FCR proposé et voté par les élus est un cadeau donné aux Tunisiens résident à l'étranger. Non pas qu'ils n'en méritent pas, mais personne n'a pensé à équilibrer les choses avec les Tunisiens résidant en Tunisie. L'aspect ironique de la chose est que les TRE obtiennent des avantages supplémentaires sans même être représentés au sein de l'Assemblée ! N'oublions pas que plusieurs sièges au sein de l'ARP restent vides à ce jour puisqu'il était impossible de se porter candidat dans plusieurs circonscriptions de l'étranger. Cette ARP compte un seul élu représentant les Tunisiens résidant à l'étranger. Par ailleurs, il semblerait que les élus à l'origine de cette proposition ont, consciemment ou inconsciemment, ignoré son aspect purement économique. Par la facilitation de l'obtention du FCR les élus ont fait les affaires du marché parallèle de l'automobile en Tunisie. Les boutiques, ayant pignon sur rue, qui pullulent aux abords de tous les grands axes routiers à Tunis et ailleurs, proposant généralement des voitures de luxe, ne pourraient exister sans le FCR. L'avantage douanier fait lui-même l'objet d'un négoce puisque le FCR se vend et s'échange. Le marché parallèle de la vente de voitures a pu s'établir et s'épanouir avec un FCR accordé une seule et unique fois à chaque Tunisien résidant à l'étranger. Inutile de prévoir qu'il va fleurir encore plus avec un FCR accordé tous les dix ans. Cette floraison se fera, évidemment, sur le dos des concessionnaires automobiles qui se trouvent, en plus, décriés par la population au sein de cette vague populiste dirigée contre les hommes d'affaires et les chefs d'entreprise. Les concessionnaires automobiles, qui payent des impôts en Tunisie et qui emploient des Tunisiens vivant en Tunisie, vont devoir payer le prix du cadeau décidé par les élus en faveur des TRE. Les méchants concessionnaires sont soumis à la politique de quotas de l'Etat tunisien, payent des impôts exorbitants sur une marchandise où l'Etat engrange plus d'argent que le constructeur de la voiture. C'est d'ailleurs à cause de cela qu'il devient de plus en plus difficile d'acheter une voiture neuve en Tunisie et que les prix sont hors de toute logique commerciale. Cerise sur le gâteau : l'Etat fait en sorte de favoriser la concurrence illégale à ces entreprises.
Il ne s'agit pas ici de créer de la rancœur entre Tunisiens ni de désunir le fil, déjà mince, d'une certaine cohésion sociale. Mais les élus auraient dû être plus attentifs au risque de créer des citoyens de seconde catégorie, qui ne pourront vraisemblablement pas acheter une voiture sur le marché local, ni ne pourront profiter de l'avantage du FCR, octroyé au cousin qui vit à l'étranger. Certains ont proposé, pour qu'il y ait une certaine justice, de permettre à chaque citoyen résidant en Tunisie, de profiter du FCR au moins une fois dans sa vie. Mais cela ne fera qu'aggraver la problématique économique de l'octroi de cet avantage, elle aussi totalement négligée par les élus de la nation. Ces derniers ont démontré leur manque de compétence politique en votant en faveur d'un amendement sans en saisir tous les tenants et aboutissants et sans en cerner les différents impacts possibles. Ils ont cédé au populisme en privilégiant la facilité de l'octroi d'un avantage immédiat à une frange de la population en négligeant le reste.