La Tunisie ne fête plus sa révolution le 14 janvier. C'est désormais le 17 décembre qu'il faut sortir les drapeaux. Cette date a été décrétée fête nationale de la révolution tunisienne en 2019, lorsque le Président Kaïs Saïed avait choisi Sidi Bouzid « berceau de la révolution » pour déclarer à tous que janvier était désormais considéré comme « la date d'avortent de la révolution et de la perpétuation du système de l'ombre », et que décembre était la fête nationale qu'il fallait célébrer. En réalité, depuis ce jour-là il y a quatre ans, on n'a plus fêté la révolution tout court. Cette année, 17 janvier 2023, pour le 13e anniversaire de la révolution, le chef de l'Etat a préféré partir pour le Koweït pour présenter ses condoléances à la suite du décès de l'émir du Koweït, Cheikh Nawaf al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah. Aucune allocution au peuple, aucun discours même enregistré, aucun communiqué n'a été émis ce jour-là pour s'adresser aux Tunisiens et leur souhaiter bonne fête. Il en a été de même le 25 juillet dernier, à la fois fête de la République et du Renouveau de Kaïs Saïed. Aucune célébration non plus. Il est vrai que le Président préfère plutôt s'adresser aux citoyens en proférant des menaces et des promesses irréalisables plutôt que d'évoquer des célébrations et félicitations. Mais que faut-il célébrer au juste ? Difficile de choisir entre le bilan des réalisations et les projections pour les années à venir. Les deux ne sont guère très réjouissants et ne sauraient constituer un véritable motif de fête.
Mais cynisme mis à part, le plus grand acquis de la révolution n'est autre que l'exercice démocratique. Le pouvoir donné au peuple de choisir, de décider et de s'exprimer. Depuis 2011, en effet, les élections se succèdent et ne se ressemblent pas. Mais, depuis 2011 aussi, l'engouement des Tunisiens pour les élections ne cesse de s'effriter. Après un taux de participation de 52% en 2011 et 68% en 2014, les taux n'ont pas fini de dégringoler. C'est en réalité toute la chose politique qui n'intéresse désormais plus grand monde. Tellement, que plus personne ne s'interroge sur les raisons derrière ce silence total, en cette journée pourtant symbolique. Une date si symbolique que le chef de l'Etat l'a incluse dans son fameux calendrier de « rectification de la trajectoire » prévoyant plusieurs rendez-vous électoraux. Le 17 décembre dernier était, rappelez-vous, la date des élections législatives qui ont donné naissance au parlement kaïsiste actuel. Pour ceux qui ne suivent plus la chose politique, la Tunisie est aujourd'hui en pleine campagne électorale. Vous l'ignoriez ? Vous n'êtes pas les seuls. Le Conseil des régions et des districts devra être formé grâce au scrutin du 24 décembre. Un peu partout dans le pays, des prospectus sont distribués et des candidats pullulent. Qui sont-ils ? Que feront-ils ? Où siégeront-ils ? Quel pouvoir auront-ils ? Beaucoup d'entre vous l'ignorent et ne se soucient même pas de le savoir.
Le 17 décembre 2023 aurait été l'occasion inespérée pour le chef de l'Etat d'apaiser les tensions, de se projeter et de rassurer les Tunisiens sur les mois difficiles qu'ils viennent de vivre et leur offrir de quoi supporter l'année à venir. Une année faite de disette, d'incertitude économique, de pénuries et de tensions politiques. Le pouvoir aurait pu se projeter, expliquer comment il compte faire face aux crises auxquelles les Tunisiens en ont marre de faire face et de présenter son plan d'avenir. Ou, du moins celui de 2024. Il n'en était rien. En réalité, les dates, au-delà de leur symbolique, importent peu. Il importe peu en effet de fêter la révolution un 17 décembre, un 14 janvier ou un 25 juillet. L'essentiel étant de se souvenir non pas des dates, mais des grands événements, des raisons qui ont déclenché les plus grandes émeutes et d'apprendre, de son histoire, le meilleur moyen de les éviter et d'avancer. À l'approche de la nouvelle année, il est peu probable de dire que le pouvoir ait retenu sa leçon…