Le journaliste Zied El Heni a été condamné hier à six mois de prison avec sursis pour offense à la ministre du Commerce lors d'une émission radiophonique. Malgré la grosse polémique et le soutien total de la société civile, nationale et internationale, suite à son arrestation préventive, le régime de Kaïs Saïed a insisté pour que le journaliste soit condamné. Il s'agit d'un avertissement à tous les Tunisiens qui se sentent libres, qui veulent s'exprimer librement et qui veulent rester libres. L'injustice est flagrante avec violation de la loi en prime. Zied El Heni, un des plus célèbres journalistes tunisiens, a été condamné mercredi 10 janvier 2024 à six mois de prison avec sursis en vertu de l'article 86 du code des télécoms. Il l'a échappé belle, car le parquet l'a traduit sur la base du décret 54 qui prévoit jusqu'à dix ans de prison pour le « crime » de Zied El Heni. Le crime en question consiste à avoir qualifié la ministre du Commerce de « Cazi », un mot péjoratif, peut-être, mais qui n'a certainement rien d'injurieux. Ce n'est pas ce que pense le régime putschiste de Kaïs Saïed et, partant, il a fait arrêter le jour même le journaliste, suite à une autosaisie du ministère public. Après une bonne dizaine de jours en détention, Zied El Heni a été traduit hier devant la cour près le tribunal de première instance de Tunis. Techniquement, vu que Zied El Heni est journaliste titulaire d'une carte de presse et qu'il est traduit en justice pour un fait lié à sa profession, il devait être traduit sur la base du décret-loi 115 relatif à la presse. Ce n'est pas une simple question technique, c'est la loi. C'est le droit du prévenu de bénéficier du texte spécifique à son cas. C'est aussi son droit de bénéficier du texte le plus clément s'il existe. La cour n'a pas le droit d'utiliser un texte global ou un texte plus sévère. Ce n'est pas l'avis du parquet, ce n'est pas l'avis de la cour, ce n'est pas l'avis, non plus, de plusieurs Tunisiens, qui se sont délectés de l'emprisonnement du journaliste arguant qu'il est un justiciable comme un autre et doit, donc, être condamné sur les bases d'une loi globale. Ce qui échappe au parquet, à la cour et à ces commentateurs du dimanche c'est que le code de la presse (le décret-loi 115) existe partout dans le monde libre. La nature même de certaines professions exige des lois spécifiques qui protègent ses affiliés. Ce qui leur échappe aussi, c'est que le code de la presse ne protège pas que les journalistes, il protège également tout citoyen qui s'exprime que ce soit dans un média, sur les réseaux sociaux ou dans un café. Ceci est clairement défini en Tunisie dans le décret-loi 115. Ce qui leur échappe enfin, c'est que l'on ne peut pas mettre en prison quelqu'un pour avoir exprimé une opinion. À l'exception des appels à la haine, des crimes spécifiques liés à la pédophilie ou le terrorisme, on ne met pas en prison, au XXIe siècle, une personne qui s'exprime sur un sujet d'intérêt commun.
Avec la condamnation de Zied El Heni, le régime putschiste de Kaïs Saïed balaie d'un revers des décennies, voire des siècles pour certains pays comme les Etats-Unis, d'évolution de l'humanité. La cour qui a condamné M. El Heni et le parquet qui l'a traduit, ont fait reculer la Tunisie et les Tunisiens au Moyen-âge. Il y a un objectif derrière cela, celui d'avertir l'ensemble des Tunisiens libres de cesser de s'exprimer librement, sous peine de prison. Il faudrait qu'ils cessent de critiquer le régime et de parler d'inflation et de pénuries (c'est dans ce contexte que Zied El Heni a épinglé la ministre). Il faut qu'ils cessent de jouir de leur droit fondamental de dire tout haut ce qu'ils pensent tout bas. Zied El Heni n'a pas été condamné pour sa personne. À travers sa condamnation, le régime putschiste condamne l'ensemble des journalistes et l'ensemble des commentateurs hostiles. En somme, l'ensemble des Tunisiens qui veulent rester libres et indépendants.
En dépit de la violence, toute relative, de l'affaire, le régime n'a pas atteint son objectif. Loin s'en faut. Alors que la chronique de Zied El Heni et le mot « cazi » n'étaient entendus que par quelques milliers ou dizaines de milliers d'auditeurs d'IFM, la polémique a fait que le mot et le sujet soient évoqués maintenant par des millions de Tunisiens et par plusieurs ONG internationales. Avec cette affaire, ce sont des millions de Tunisiens qui ont traité la ministre de « cazi », sur les réseaux sociaux, dans les cafés et dans les salons. Un sobriquet qui va lui coller définitivement à la peau. Quoiqu'il fasse, le régime ne peut pas poursuivre tout le monde. Avec cette affaire, le régime de Kaïs Saïed confirme, si besoin est, son caractère despotique et salit davantage son image déjà très ternie sur les plan national et international. Aucun pays libre, au XXIe siècle, ne condamne un citoyen (encore moins un journaliste) pour avoir exprimé une opinion. Aucun pays libre, au XXIe siècle, ne met en prison un citoyen pour un mot, soit-il une injure. En condamnant Zied El Heni, le régime de Kaïs Saïed a condamné sa ministre du Commerce et s'est condamné lui-même. Zied El Heni est sorti de prison grandi, en héros. Ses pairs, tout comme les Tunisiens libres, le jugent comme un modèle à suivre. Sa condamnation n'est pas salissante, elle est valorisante et honorable. Elle est meilleure qu'un Prix présidentiel. En revanche, le régime est sorti amoindri avec cette image d'un régime despotique fragile qui ne supporte plus la critique, pas même un simple mot très répandu dans la société tunisienne. Le régime a beau chercher à protéger sa ministre, il n'a fait que l'exposer et s'exposer aux injures et à la critique.
Raouf Ben Hedi
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