Bien installés dans leurs canapés, les Tunisiens s'attendaient, dimanche soir 3 mars 2024, à une révélation. Les yeux rivés sur leurs écrans, ils espéraient de Bernard de La Villardière un reportage digne de la réputation de son émission « Enquête exclusive », diffusée sur la chaîne française M6. L'épisode consacré à la situation en Tunisie n'a, cependant, laissé que déboire. Certains n'ont pas manqué d'exprimer leur désappointement sur la toile. Les réactions ont fusé de toute part convergeant, en majorité, dans le même sens : plus de youyous que de couscous ou comme disent nos amis francophones, beaucoup de bruit pour rien. Intitulé « Tunisie : entre misère et dictature, le grand retour en arrière», le dernier épisode d'Enquête exclusive semblait promettre un résumé virulent de la situation du pays, loin du carcan du décret 54; ce texte de loi qui pèse lourd sur les rédactions des médias tunisiens depuis moins de deux ans. Cependant, de la causticité habituelle, les spectateurs n'ont eu droit qu'à des fragments d'histoires qu'ils connaissent déjà. Des prisonniers politiques à la flambée des prix et la crise économique, en passant par la dictature qui s'est installée à Carthage, tout ou presque y était, mais sans ces petits détails qui auraient pu justifier la pince du chef du gouvernement tunisien Ahmed Hachani à son homologue français Gabriel Attal. Plusieurs ont vu en ce reportage un épisode de déjà-vu banal et sans originalité qu'un journaliste débutant aurait pu réaliser sans même bouger de son bureau. « Vu enquête exclusive sur M6 : nullissime ! N' importe quel journaliste Tunisien aurait fait cent fois mieux », a écrit Tahar Fazaa sur sa page Facebook. Le chercheur en économie politique et relations internationales, Hassen Kobbi, a, lui, commenté: « L'Enquête exclusive d'hier sur M6 est semblable à toutes ces émissions politiques insignifiantes qui passent sur les chaînes de télé et radio tunisiennes, mais en français ».
L'enseignante universitaire et sociologue, Fathia Saidi, a de son côté commenté : « L'enquête exclusive de M6 : Elle est exclusive pour les français probablement mais pas pour nous. Il s'agit d'un reportage simple informant sur la situation sociopolitique de la Tunisie post-révolution (13 ans après le 14 janvier 2011) en se basant sur quelques questions clés. Les 02 questions qui se posent sont : Qui a participé à la popularité de l'émission et à l'augmentation de son taux d'audimat ? N'est-il pas le chef du gouvernement tunisien avec ses propos lors de sa rencontre avec son homologue ? Bref, ce sont les mêmes erreurs et les mêmes pratiques politiques qui assassinent… ». La journaliste Aida Arab a, elle, écrit : « Ça n'a rien d'une enquête et encore moins d'une « enquête exclusive ». C'est à peine si on peut le qualifier de récit et d' ailleurs; un récit de bas étage! À la M6 quoi! ». « Décevante 'l'enquête exclusive' de M6. Pas de ligne directrice claire, une démarche décousue et une approche superficielle. À aucun moment de l'émission je n'ai senti qu'on allait au fond des choses. Par ailleurs on constate une méconnaissance manifeste de la réalité sociologique et de la réalité politique complexe de la Tunisie après le 14 janvier avec toutes ses contradictions, ses dangers et les différents intervenants sur la scène politique et leurs mentors. Enfin, la partialité de l'équipe est fracassante. Parler de démocratie, de nouveau paysage politique et d'opposition sans parler du PDL et de sa présidente, la passionnaria Abir Moussi, est soit une prise de position dictée, soit un manquement aux principes déontologiques de la profession, et dans un cas comme dans l'autre ce n'est pas digne de professionnels du journalisme. À bon entendeur, salut », a souligné, le membre du Parti destourien libre (PDL) Thameur Saad. Si pour certains, le reportage de Bernard de La Villardière était loin d'être une enquête exclusive, pour d'autres, le contenu était truffé de contre-vérités et même dangereux. Le reportage a, rappelons-le, repris certains extraits des discours du président de la République, notant les propos complotistes et même antisémites de Kaïs Saïed. Comme quoi, sans une pincée d'antisémitisme, la recette aurait été un fiasco! Une internaute n'a pas manqué de relever cet aspect notant : « Enquête exclusive c'est Mornaguia et non pas Monarguia. Soyez maudits !!! Vous allez vous occuper un peu de vos affaires, oui ? L'antisémitisme, vous avez réussi à le placer !!!! Du balai… ».
La députée Fatma Mseddi, a, elle, dénoncé l'extrait sur le calvaire des migrants subsahariens en Tunisie. « La chose la plus dangereuse qui a été diffusée hier soir dans l'émission enquête exclusive est le dossier des Africains subsahariens qui accusent les Tunisiens d'avoir violé leurs femmes et volé leurs biens. Le gouvernement, en particulier le ministre de l'Intérieur, doit agir et répondre à ces contre-vérités et à ces graves accusations. Il faut en finir avec ce dossier qui a troublé la Tunisie, et je travaillerai dans les prochains jours à la constitution d'une commission d'enquête parlementaire sur la migration irrégulière ». L'émission a, notons-le, été consacrée en partie à des témoignages de migrants subsahariens qui ont fait part de leurs expériences et de la discrimination qu'ils subissent durant leur transit en Tunisie. Parallèlement à la misère des Subsahariens, la souffrance des détenus politiques, le supplice quotidien des Tunisiens et le marasme politique et toutes les autres problématiques débattues jour et nuit sur les plateaux radio et télé, l'émission s'est penchée sur un autre aspect sans lequel Bernard de La Villardière n'aurait pas été fidèle à sa ligne éditoriale. Le bling bling était bien présent avec un tour à la Badira et chez une instagrameuse présumée star et connue des Tunisiens. Cet autre visage de la Tunisie a fait aussi réagir. « Ravie d'avoir perdu un peu de temps a regarder l'enquête exclusive de M6 "Babouches et quinoa au pays de Haifa" consacrée à la Tunisie. Grotesque du début à la fin », a écrit une internaute. En bref, l'émission était « (…) Un tableau certes court et maladroit pour un pays plus complexe qu'il n'y paraît mais loin d'être abstrait », comme l'a énoncé, la membre du Conseil d'administration, à Français du monde (ADFE), Martine Vautrin Jedidi. « Comme attendu, rien d'exceptionnel ni d'exclusif ni enquête dans ce "documentaire" destiné au public en France mais contre toute attente, rien de vraiment scandaleux ni d'extrêmement caricatural ».