Le syndicat des travailleurs, UGTT, tiendra ce lundi une réunion d'urgence de son comité administratif. Cette urgence s'explique par les menaces réelles, de plus en plus pressantes, qui visent l'existence même de la centrale syndicale. En effet, le syndicat n'est plus secoué par des divergences, des crises, ou même par des dissidences internes comme il a souvent connu tout au long de son histoire. La périodicité de ces crises internes a donné au mouvement syndical tunisien une certaine immunité et une grande expérience qui lui a permis de toujours régler ces conflits in vitro, avec une volonté commune d'éviter la périclitation de l'organisation et de préserver le « chkaf », comme disait le leader syndicaliste Habib Achour dans les moments difficiles.
Une confrontation historique qui se répète Cette fois, la menace qui pèse sur le syndicat vient directement du pouvoir en place, ce qui rend la crise plus sérieuse et explique l'urgence de la réunion de la commission administrative. Mais là encore, ce n'est pas la première fois que le syndicat se trouve sous la menace d'un pouvoir qui cherche à éliminer ce contre-pouvoir qui l'empêche de tenir le pays de main de fer. Le président Habib Bourguiba avait bien croisé le fer avec le syndicat en 1964 puis en 1978. Son successeur Zine Abidine Ben Ali s'est essayé au même exercice en 1994 et les islamistes, avec leurs complices de la troïka, ont tenté la confrontation avec le syndicat, un certain 4 décembre 2012. Tous ont échoué et tous ont fini par être contraints de quitter le pouvoir en laissant derrière eux un syndicat fort et auréolé même d'un prix Nobel de la paix. Dans leurs confrontations avec le syndicat, les pouvoirs successifs ont fait appel à des milices. Bourguiba et Ben Ali avaient créé les comités de vigilance. Les islamistes et leurs pare-chocs avaient les comités de protection de la révolution. Toutes ces milices se sont désintégrées au moment même où leurs mandants ont perdu les rênes du pouvoir. Kaïs Saïed face à l'UGTT Le président Kaïs Saïed n'est donc pas le premier dirigeant tunisien à vouloir effacer l'UGTT du paysage politique et social tunisien. Il a toujours souhaité écarter le syndicat de la vie politique. En vérité, le président Kaïs Saïed a toujours souhaité l'annulation de toutes les structures intermédiaires, partis politiques, associations et syndicats, et créer une connexion directe entre lui et « son » peuple. Cela lui a réussi avec les partis politiques et les associations de la société civile, pourquoi pas avec le syndicat ? Toutefois, la grève des transports publics a, semble-t-il, secoué les convictions présidentielles et obligé le président de la République à monter lui-même au créneau. Il n'est pas non plus le premier président à s'adosser sur des milices dans l'exercice de son pouvoir. Même s'il ne veut pas l'avouer, comment expliquer que les animateurs de cette milice sont connus pour leur proximité avec Kaïs Saïed et que ces hordes, qui ont investi la place Mohamed Ali le 7 août dernier, ont repris à leur compte les positions et les slogans du président ? D'un autre côté, comment le président savait-il que ces milices n'avaient pas l'intention d'attaquer le siège du syndicat ? Du coup, la commission administrative, comme l'ensemble des dirigeants syndicalistes d'ailleurs, qui ont toujours cherché dans le passé à ménager dans leurs déclarations le président de la République, se trouve dans l'impossibilité d'éviter une confrontation directe avec Kaïs Saïed, advienne que pourra.
Compte tenu des rapports de forces actuels, il ne serait pas surprenant de voir le pouvoir en place entamer une chasse aux syndicalistes et incarcérer manu militari les leaders du mouvement syndical tunisien. Il ne sera pas le premier à le faire avec les résultats que l'on sait. Dans les sciences expérimentales, ne dit-on pas que les mêmes causes produisent les mêmes effets ? Mais avec les dictatures, comme avec les chauffards, les accidents de la route… n'arrivent qu'aux autres.