Un remaniement-surprise ? Pas tant que ça. Le remaniement ministériel, très large, avec lequel Kaïs Saïed est venu chambouler un paisible dimanche après-midi, est tout sauf une surprise. Il était attendu depuis le jour où un nouveau chef de gouvernement est venu remplacer Ahmed Hachani. Le président a nommé un nouveau chef de gouvernement au début du mois d'août. Kamel Maddouri a investi la Kasbah le 8 août en remplacement d'un Ahmed Hachani qui ne l'a pas vue venir, trop concentré à vanter « les réalisations de son gouvernement ». Il était donc logique que les ministres de Hachani sautent avec lui. Mais ce remaniement a aussi fait sauter les ministres qui étaient là bien avant Ahmed Hachani. Kaïs Saïed a donc fait table rase du passé, allant même jusqu'à sacrifier certains de ses plus proches et loyaux ministres. Si les actions de Kaïs Saïed nous ont enseigné une chose sur son modus operandi, ce n'est pas qu'il est imprévisible. C'est qu'il suit une autoroute bien tracée. Comme à son habitude, Kaïs Saïed n'est pas homme à récompenser la loyauté de ses collaborateurs. Ils auront beau répéter qu'ils suivent ses ordres, qu'il est cher à leur cœur ou de boire ses paroles en répétant « machallah », il n'hésitera pas à les remercier sans ménagement. Ceci a été le cas avec Ahmed Hachani, Salwa Abassi, Nabil Ammar…et avant eux Najla Bouden, Kamel Feki… et plusieurs autres avant et, très probablement, après eux. A six semaines d'un scrutin qui sera tout sauf palpitant, Kaïs Saïed justifie ce remaniement par « l'intérêt supérieur de la nation » qui, selon lui, passe avant les personnes et les intérêts personnels.
Ce remaniement, techniquement logique, mais politiquement insensé, prouve aussi que les élections du 6 octobre n'auront aucun impact sur la gestion du pays. Techniquement, puisque Ahmed Hachani a été remercié, toute son équipe devra partir, étant liée à un constat d'échec évident. Politiquement, un remaniement n'a aucun sens quelques semaines avant une élection présidentielle qui devra, elle, dessiner les grandes lignes du schéma politique tunisien. Du moins, en théorie. A travers cette décision, Kaïs Saïed envoie aussi un message très clair quant à ses chances de se faire réélire à Carthage. Avec une poignée de candidats, avec une popularité plus que questionnée, Kaïs Saïed n'a pas de réel concurrent pour lui faire face. Pourquoi donc s'en préoccuper ? Rien ne l'empêche, ainsi, de prendre des décisions qui engageraient le pays pour les années à venir. Les ministres fraichement nommés auront à faire face à des chantiers titanesques à mener sur du moyen et parfois du long terme.
Mais, même s'il fallait tout recommencer à zéro, cette éventualité ne serait nullement un problème pour Kaïs Saïed. Le président continue de suivre le plan qu'il s'était fixé depuis le début de son mandat. Pour lui, les décisions qu'il prend sont toutes justifiées par « l'intérêt du pays » et un gouvernement n'est pas fait pour rester plus que quelques mois. La politique de Saïed est en effet basée sur des chamboulements sans demi-mesure. Un parlement dissous, des législatives anticipées, un référendum organisé à la hâte, plusieurs chefs de gouvernement nommés et rapidement limogés et plus de 80 responsables limogés depuis le 25 juillet 2021. Pourquoi donc s'étonner d'un simple petit remaniement ministériel ? En attendant, si l'intérêt supérieur du pays est l'argument brandi à chacune de ces décisions peut-être inexplicables mais pas surprenantes, plusieurs dossiers attendent encore la stabilité nécessaire pour être concrétisés. La santé, l'éducation, le transport, l'économie, on en parle ? Rien d'urgent, dirait-on, nous sommes en pleine année électorale. Tout devra attendre…