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À quoi servent les startups ?
Publié dans Business News le 29 - 10 - 2024

J'ai beaucoup de respect pour la passion et l'engagement de mes amis de l'écosystème des startups. C'est ce respect pour leur temps et leurs efforts qui m'amène à écrire aujourd'hui.

En effet, je pense que leur impact sur notre bien-être commun en tant que Tunisiens pourrait être infiniment plus important. Mais il est limité, bridé par la forme startup elle-même.

À travers cet article, je cherche à amorcer une réflexion sur d'autres manières d'inciter à l'innovation et de canaliser l'énergie entrepreneuriale.

Une croissance fulgurante
Depuis 2011, le mouvement entrepreneurial s'est taillé une place de choix au sein du paysage médiatique et institutionnel tunisien.

L'entrepreneuriat est promu partout : à la télévision (Emission El Pitch sur Elhiwar Ettounsi par exemple), la radio (fréquence startups sur Mosaïque FM, IFM Startups…), sur les réseaux sociaux (podcast Fama Menou, pages sur les startups…) ou dans la presse écrite (Le Manager ou IlBoursa couvrent fréquemment les startups). La société civile n'est pas en manque : nombreuses sont les initiatives d'envergure nationale : concours et réseaux de clubs universitaires (Enactus, Hult prize…), programmes de formation, d'incubation, d'accélération, d'investissement… Même les enfants sont concernés (programme Graines d'Entrepreneurs).

Pour le soutenir, l'Etat a mis en place un cadre législatif dédié, à l'image du « Startup Act » ou du statut étudiant-entrepreneur. Plus encore, l'entrepreneuriat a conquis un espace dans les programmes d'enseignement universitaire à travers le pays, comme matière transversale imposée aux étudiants tunisiens.

Tous ces efforts, tout ces avantages et cet argent public, pour quels résultats ?


S'il est convenu de s'émerveiller devant les chiffres mirobolants de tel "exit" ou tel marché attribué à des Tunisiens (une levée de fonds de 8 millions de dollars pour GoMyCode, plus de 500 millions de dollars pour la vente d'InstaDeep …), il est légitime de se demander : qu'est-ce que notre pays en gagne ? De l'emploi ? Des ressources pour l'Etat à travers l'imposition ? Du savoir-faire technologique ?

Face à l'ampleur des ressources, publiques et privées, consacrées à l'entrepreneuriat, il est légitime de se demander : est-il rationnel pour nous de soutenir "l'écosystème" des startups ?

Impact économique : des échecs nombreux…
Pour qu'une start-up puisse avoir un impact économique, il faut d'abord qu'elle survive. Or, il est de fait que l'immense majorité des startups sont éphémères. Selon différentes estimations, 9 startups sur 10 échouent, dont une majorité avant d'avoir atteint un an. Un chiffre que la réalité tunisienne ne manquera pas de confirmer.

En plus d'être plus risquées que des entreprises plus classiques car basées sur des innovations, les startups sont souvent fondées par des jeunes avec peu ou pas d'expérience professionnelle, encouragés qu'ils sont par la pléthore de programmes d'introduction à l'entrepreneuriat. Ces derniers abandonnent (légitimement) leur entreprise lorsqu'ils trouvent un poste plus sûr et correctement rémunéré dans une structure plus grande. L'abandon est parfois même inscrit dans la fondation des entreprises, ces dernières ne servant que de véhicules pour améliorer le CV des fondateurs ou encore profiter d'avantages fiscaux, de programmes d'accompagnement, de subventions et/ou de prêts.

Les innovations développées, l'argent qui avait été investi dans la formation des fondateurs et leur accompagnement... tout cela est en grande partie perdu.

Des réussites relatives…
Dans les rares cas où elles survivent - souvent grâce à des fondateurs déjà expérimentés et suffisamment liquides -, le bilan de ces entreprises n'est pas nécessairement plus reluisant.

Les startups ont très peu de chances de devenir des "fleurons" de l'économie nationale, génératrices d'emploi et de développement, car elles s'inscrivent souvent dans la logique court-termiste de l'exit. Les fondateurs cherchent à maximiser la valeur perçue de la startup pour pouvoir la revendre (ou en revendre des parts) au prix fort. Parfois, la revente représente aussi pour eux une occasion rêvée pour financer une expansion et une diffusion rapide de leur innovation.

Il faut comprendre que ce phénomène n'a rien à voir avec les qualités morales ou le patriotisme des fondateurs. Il est très souvent rationnel de vendre sa startup : du point de vue de l'impact social, à quelqu'un qui aura les moyens de diffuser l'innovation au plus grand nombre ; du point de vue financier, car les offres sont souvent très alléchantes ; par obligation, car un concurrent peut tuer la startup, ou créer un concurrent avec beaucoup plus de moyens, dans le cas d'un refus de vendre.

Parfois, les startups sont présentées comme génératrices d'emploi. Mais les quelques individus relativement privilégiés, maîtrisant des langues étrangères, en mesure de lancer et travailler dans des startups, sont-ils vraiment le cœur du problème du chômage ? N'est-ce pas une manière coûteuse et inefficace de résoudre le problème ?

Au final, les startups se destinent rarement à devenir des entreprises rentables et pérennes : l'objectif est plutôt d'être attractif pour des investisseurs et acheteurs potentiels. Il faut comprendre que leur impact positif sur l'économie est au mieux un effet collatéral, temporaire.

Mais les entreprises ainsi rachetées ne génèrent-elles pas des revenus pour le pays ?

…et des bénéfices qui ne reviennent pas aux Tunisiens
L'exit modèle, c'est le rachat par une entreprise étrangère, à grand renfort de millions. Or souvent, ce rachat n'est pas faisable lorsque l'entité légale reste tunisienne, les grands investisseurs étant réticents à investir en Tunisie. On assiste donc à des lancements de startups en Tunisie, qui seront plus tard recréées et revendues aux Emirats ou en France. Les retours des avantages accordés lors de la phase de croissance de la startup par l'Etat sont alors bien maigres.

Par ailleurs, pour les startupeurs, le marché tunisien est étroit, peu rentable. De fait, les startups et leurs innovations ne visent pas nécessairement à répondre à des besoins locaux. Les perspectives d'expansion étant essentielles pour que les startups attirent des investisseurs, elles visent souvent des marchés et des besoins étrangers. Beaucoup se cantonnent donc à des rôles de sous-traitance, souvent dans le domaine de l'informatique ou encore dans le recrutement et l'envoi de techniciens et ingénieurs vers l'étranger. Elles sont donc, en outre, extrêmement dépendantes de la demande extérieure.

Mais alors, tandis que nous poussons nos jeunes brillants à s'engager dans l'entrepreneuriat innovant, qui réfléchira à des solutions locales aux problèmes locaux ?

Par souci de brièveté, nous n'avons pas parlé dans cet article :

- de la nature souvent extractive des business models des startups, qui visent à acquérir un statut monopolistique en existant à perte, avant de monter les prix une fois en position de force sur le marché ;
- de l'idéologie individualiste et toxique de l'écosystème startups (le "grindset", jusqu'au-boutisme qui pousse les entrepreneurs à mettre en risque leur santé physique et mentale ainsi que leurs finances personnelles)
- de la manière critiquable dont la promotion de l'entrepreneuriat est faite en Tunisie (processus de labellisation startup, captation de valeur par les structures d'accompagnement (incubateurs/accélérateurs et formateurs/coachs…))...

Pour résumer, mettre de l'argent public dans les startups, c'est un peu comme verser de l'eau dans un seau percé :

- La grande majorité des startups échoue ;
- Les rares réussites ont un impact économique négligeable : emploient peu de monde, n'emploient que des personnes déjà fortement employables, sont rapidement vendues/délocalisées, et sont dépendantes de/orientées vers une demande et des besoins étrangers ;
- La captation de valeur par les structures d'accompagnement rend tout investissement dans les startups très inefficient ;
- Le processus de création d'une startup est difficilement accessible aux personnes au capital financier et académique limité, et la forme bénéficie principalement à des personnes dont la situation socioéconomique est déjà confortable ;
- Les startups servent culturellement à transformer notre perception de l'emploi, qui passe d'un droit à un choix/une initiative personnelle, et promeuvent un rapport au travail ainsi qu'un individualisme problématiques.

Pourtant, tout n'est pas à jeter ; bien au contraire.

Je reste convaincu que la forme startup a une qualité indéniable, qui explique en partie son succès : elle permet aux individus d'innover hors du cadre académique. Là où avant, l'invention était l'œuvre des chercheurs, de quelques inventeurs passionnés ainsi que des laboratoires de R&D privés, les startups ont changé la donne. Aucune structure non-académique n'a pu canaliser autant d'énergie vers l'innovation et la recherche de solutions. Nous avons tous vu la grande qualité de ce qu'ont pu générer Enactus ou le Hult Prize, les hackathons et ideathons, enfin la manière dont ces institutions permettent au génie et à l'innovation de s'exprimer.

Le problème est que si l'écosystème entrepreneurial a bien permis ces innovations, la forme startup les a tuées dans l'œuf : la communauté, le pays n'en gagnera pas grand chose, pour toutes les raisons évoquées ci-dessus.

À mon sens, le défi est aujourd'hui le suivant :

Peut-on réformer la forme startup, ou bien même la remplacer par une forme légale différente, qui incite à l'innovation sans être aussi inefficiente ? Peut-on récupérer les solutions abandonnées, les heures de travail bradées à l'étranger et le génie des entrepreneurs pour les remettre au service du plus grand nombre ?

J'entrevois plusieurs manières de le faire : créer un cadre permettant d'intégrer les innovateurs dans le secteur public, et leur assurer une rémunération décente pour leurs efforts ; limiter la possibilité d'acheter et de vendre les startups ; réformer la propriété intellectuelle de ce qui est produit dans le cadre startup ; permettre le rachat par l'Etat ou les employés des startups à la place des exits ; réfléchir à une autre forme, qui permettrait le développement d'innovations et de technologies sociales qui ne seraient pas immédiatement profitables… La réflexion n'est ici qu'amorcée, mais je pense qu'elle est urgente.

Nos jeunes, nos innovateurs, nos entrepreneurs ont du génie : aidons les à aligner leurs efforts avec les intérêts du plus grand nombre et soyons plus rationnels vis à vis de l'argent public dépensé pour les soutenir.

Amis de l'écosystème, il ne tient qu'à nous de faire changer les choses.


*Sociologue et activiste au sein de la société civile tunisienne


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